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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/502

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DEERSLAYER

de mon âge d’oublier toutes les leçons qu’elle a reçues dans son enfance, toutes ses habitudes, toute sa méfiance d’elle-même, et de dire ouvertement tout ce que son cœur lui inspire.

— Pourquoi cela, Judith ? Pourquoi les femmes, aussi bien que les hommes, n’agiraient-elles pas franchement et loyalement à l’égard de leurs semblables ? Je ne vois pas pourquoi vous ne parleriez pas aussi clairement que moi quand vous avez à dire quelque chose de réellement important.

L’humble opinion que le jeune chasseur avait de lui-même, et qui l’empêchait encore de soupçonner la vérité, aurait découragé Judith, si elle n’eût été bien résolue, de tout son cœur et de toute son âme, à faire un effort désespéré pour se soustraire à un avenir qu’elle n’envisageait qu’avec effroi. Mais ce motif l’éleva au-dessus de toutes les considérations ordinaires, et elle fut presque surprise, pour ne pas dire confuse, de se sentir le courage de persister dans sa détermination.

— Je veux, — je dois vous parler aussi franchement que je pourrais parler à la pauvre Hetty, si cette chère sœur vivait encore, répondit Judith en pâlissant au lieu de rougir, la résolution dont elle était armée faisant sur elle un effet contraire à celui qu’elle produit ordinairement sur toute femme en pareille occasion ; oui, je n’obéirai qu’au sentiment qui a pris dans mon cœur l’ascendant sur tous les autres. — Vous aimez les forêts, et vous préférez à tout autre le genre de vie que nous menons ici, loin des villes et des demeures des blancs ?

— J’aime les forêts comme j’aimais mes parents lorsqu’ils vivaient, Judith. L’endroit où nous sommes serait pour moi toute la création, si cette guerre était une fois terminée, et que les colons voulussent bien en rester à quelque distance.

— Pourquoi donc le quitter ? — Il n’appartient à personne, — personne du moins n’y a de meilleurs droits que moi ; et ces droits, je consens à les partager avec vous. Si c’était un royaume, Deerslayer, je dirais la même chose avec autant de plaisir. Retournons donc au château, dès que nous aurons paru au fort devant le prêtre, et ne le quittons plus avant que nous soyons appelés dans ce monde où nous trouverons les esprits de ma mère et de ma sœur.

Un assez long intervalle de silence s’ensuivit, Judith s’étant couvert le visage des deux mains après l’effort qu’elle avait fait sur elle-même pour offrir si clairement sa main au jeune chasseur, et Deerslayer réfléchissant avec surprise et chagrin à la proposition qu’il venait d’entendre. Ce fut lui qui rompit enfin le silence, et il