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DEERSLAYER

fermeté tranquille qui ne lui laissa aucun espoir, et qui lui annonça que, pour cette fois, sa beauté tant admirée n’avait pas produit l’effet qu’elle en attendait. On dit que les femmes pardonnent bien rarement à ceux qui méprisent leurs avances ; mais, toute fière et impétueuse qu’elle fût, Judith ne conçut pas une ombre de ressentiment contre le jeune chasseur franc et ingénu. La seule idée qui l’occupait en ce moment était de bien s’assurer qu’il n’existait entre eux aucun malentendu. Après un autre intervalle de silence pénible, elle résolut de décider l’affaire par une question trop directe pour que la réponse pût être équivoque.

— À Dieu ne plaise que nous nous préparions des regrets pour l’avenir, faute de sincérité en ce moment ! dit-elle. — Je crois vous avoir bien compris. — Vous ne voulez pas m’accepter pour femme, Deerslayer ?

— Il vaut mieux pour l’un et pour l’autre que je ne prenne pas avantage de votre offre, Judith. Nous ne pouvons jamais nous marier.

— Vous ne m’aimez donc point ? — Peut-être même ne pouvez vous trouver d’estime pour moi au fond de votre cœur ?

— J’y trouve toute l’amitié d’un frère, Judith ; je vous rendrais tous les services possibles, même au risque de ma vie. — Oui, je m’exposerais volontiers pour vous aux mêmes dangers que pour Hist, et c’est autant que je puisse dire pour quelque femme que ce soit. Mais je n’éprouve ni pour l’une ni pour l’autre, — faites-y attention, Judith, je dis ni pour l’une ni pour l’autre, — un sentiment qui serait assez fort pour me porter à quitter mon père et ma mère, s’ils vivaient encore. Ils ne vivent plus ; mais s’ils vivaient, je ne connais pas la femme pour qui je voudrais les quitter.

— Cela suffit, répondit Judith d’une voix presque étouffée. — Je comprends ce que vous voulez dire. Vous ne pouvez vous marier sans amour, et cet amour vous ne l’éprouvez pas pour moi. — Ne me répondez pas si j’ai raison ; je comprendrai votre silence, et cela sera assez pénible en soi-même.

Deerslayer lui obéit ; il ne fit aucune réponse. Pendant plus d’une minute, Judith eut les yeux fixés sur lui, comme si elle eût voulu lire au fond de son âme, tandis qu’il était assis sur l’arrière, sa rame jouant avec l’eau, et les yeux baissés comme un écolier qui a été grondé. Judith, sans dire un mot de plus, prit sa rame et mit la pirogue en mouvement. Deerslayer alors seconda ses efforts, et ils furent bientôt sur la ligne que les Delawares avaient suivie, et dont l’eau ne conservait aucune trace.