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DEERSLAYER.

— Oui, je suis Hetty Hutter, répondit la jeune fille d’une voix douce que la nature, aidée de quelque éducation, avait préservée de tout accent désagréable ou vulgaire, sœur de Judith et fille cadette de Thomas Hutter.

— En ce cas, je connais votre histoire, car Hurry Harry parle beaucoup, et il ne se gêne pas pour parler des affaires des autres quand il en trouve l’occasion. — Vous passez la plus grande partie de votre vie sur le lac ?

— Certainement. Ma mère est morte, mon père s’occupe de ses trappes, et Judith et moi nous restons à la maison. — Quel est votre nom ?

— Il est plus facile de faire cette question que d’y répondre, Hetty ; car, tout jeune que je suis, j’ai déjà porté plus de noms que quelques-uns des plus grands chefs de toute l’Amérique.

— Mais vous avez un nom ? — Vous ne quittez pas un nom avant d’en avoir gagné honnêtement un autre ?

— J’espère que non, jeune fille, j’espère que non. Mes noms me sont venus naturellement, et je suppose que celui que je porte aujourd’hui ne sera pas de longue durée, car il est rare que les Delawares tombent sur le nom qui convient réellement à un homme, avant qu’il ait eu occasion de montrer ce qu’il est, soit dans le conseil, soit sur le sentier de la guerre. Or, cela ne m’est pas encore arrivé ; d’abord, parce que, n’étant pas né Peau Rouge, je n’ai pas le droit de siéger dans leurs conseils, et que je suis placé trop bas pour que les grands de ma propre couleur me demandent mon opinion, et ensuite parce que cette guerre est la première qui ait eu lieu de mon temps, et qu’aucun ennemi ne s’est encore assez avancé dans cette colonie pour qu’un bras, même plus long que le mien, puisse l’atteindre.

— Dites-moi vos noms, répéta Hetty le regardant d’un air ingénu, et peut-être vous dirai-je ce que vous êtes.

— Il y a en cela quelque vérité, je ne le nierai pas, quoique cela manque souvent. Les hommes se trompent en appréciant le caractère des autres, et ils leur donnent fréquemment des noms qu’ils ne méritent pas. Vous pouvez en voir la preuve dans les noms des Mingos, qui, dans leur langue, signifient la même chose que ceux des Delawares dans la leur, à ce qu’on m’a dit du moins, car je ne connais guère cette tribu que par ouï-dire. Or, personne ne peut dire que ce soit une nation aussi juste et aussi honnête que les Delawares. Je n’accorde donc pas une grande confiance aux noms.

— Dites-moi tous vos noms, s’écria encore la jeune fille avec cha-