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DEERSLAYER

vait calculé, et il resta un instant étourdi de sa chute. Judith se précipita aussitôt hors de la cabine ; courant à lui, les joues enflammées par l’idée de sa hardiesse, et réunissant toutes ses forces, elle le fit rouler dans la rivière avant qu’il lui eût été possible de se relever. Après ce trait d’héroïsme, elle redevint une femme. Elle regarda par-dessous la poupe, pour voir ce qu’était devenu le sauvage. — Ses joues rougirent de sa témérité, moitié honte, moitié surprise ; enfin elle sourit avec son air ordinaire de douceur et de gaieté. Tout cela n’avait pas duré plus d’une minute, quand le bras de Deerslayer lui entoura la taille, et l’entraîna dans la cabine pour la mettre à l’abri du danger. Cette retraite ne fut pas effectuée trop tôt. À peine étaient-ils tous-deux en sûreté, que la forêt retentit de cris horribles, et que les balles commencèrent à frapper les troncs d’arbres équarris qui formaient les murailles de la cabine.

Pendant ce temps, l’arche continuait sa course rapide, et était déjà alors hors de tout danger de poursuite. Enfin les sauvages, leur premier accès de fureur s’étant calmé, cessèrent de faire feu, reconnaissant que c’était perdre leurs munitions sans utilité. Dès qu’on fut arrivé au grappin, Hutter le fit déraper, de manière à ne pas empêcher la marche du scow ; et étant alors hors de l’influence du courant, il continua à avancer jusqu’à ce qu’il fût en plein lac, quoique encore assez près de la terre pour pouvoir être atteint d’une balle si l’on s’y exposait. Hutter et March prirent donc leurs rames, et, couverts par la cabine, ils eurent bientôt fait avancer l’arche assez loin du rivage pour ôter à leurs ennemis toute envie de faire de nouvelles tentatives pour leur nuire.


CHAPITRE V.


Une autre consultation eut lieu sur l’avant du scow, et Judith et Hetty y étaient présentes. Comme aucun ennemi ne pouvait alors approcher sans se laisser voir, la seule inquiétude qui restait pour le moment était celle causée par la certitude que des ennemis étaient en forces considérables sur le bord du lac, et qu’on pouvait être sûr qu’ils ne négligeraient aucun moyen possible pour les exterminer. Comme de raison, Hutter était celui qui sentait le mieux cette vérité, ses filles étant habituées à compter sur les ressources de leur père, et ayant trop peu de connaissances pour bien appré-