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DEERSLAYER

qui en prouvait la vérité, puisqu’il ne paraissait pas probable que des ennemis mortels eussent eu recours à la même raison, si elle n’eût été bonne. Mais ni Hurry ni Hutter n’étaient hommes à s’arrêter à des bagatelles en ce qui avait rapport aux droits des aborigènes, parce qu’une des suites de l’agression est qu’elle endurcit la conscience, parce que c’est le seul moyen d’en étouffer la voix. Même dans les temps les plus paisibles, il existait toujours une sorte de guerre entre les Indiens, principalement entre ceux du Canada et les autres tribus ; et du moment qu’une guerre ouverte était légalement déclarée, ils la regardaient comme un moyen légitime de se venger de mille griefs réels ou imaginaires. Il y avait donc quelque vérité et beaucoup d’à-propos dans le principe de représailles que Hutter et Hurry adoptaient tous deux pour répondre aux objections de leur compagnon, dont l’esprit était plus juste et plus scrupuleux.

— Il faut combattre un homme avec ses propres armes, Deerslayer, dit Hurry avec sa manière dogmatique de répondre à toute proposition morale. S’il est féroce, il faut que vous le soyez davantage ; s’il a un cœur de pierre, il faut que le vôtre soit de rocher : c’est le moyen de l’emporter sur le chrétien comme sur le sauvage ; et, en suivant cette piste, on arrive plus vite à la fin de son voyage.

— Ce n’est point là la doctrine des frères Moraves, qui nous apprend que tous les hommes doivent être jugés suivant leurs talents et leurs connaissances : l’Indien en Indien, et l’homme blanc en homme blanc. Quelques-uns disent même que, si l’on vous frappe sur une joue, il faut présenter l’autre ; et ce que j’entends par là…

— Cela suffit, s’écria Hurry ; il ne m’en faut pas plus pour connaître la doctrine d’un homme. Combien faudrait-il de temps pour souffleter un homme d’un bout de la colonie à l’autre, d’après ce principe ?

— Entendez-moi bien, March, répondit le jeune chasseur avec dignité. Tout ce que je veux dire, c’est qu’il est bien de faire cela, si on le peut. La vengeance est un don qui appartient aux Indiens ; le pardon en est un qui est propre aux hommes blancs. Voilà tout. Pardonnez tant que vous le pouvez, et ne vous vengez pas tant que vous le pourriez. Quant à souffleter un homme d’un bout de la colonie à l’autre, maître Hurry, ajouta-t-il, ses joues brûlées par le soleil prenant une teinte plus vive, ce n’est ni le temps ni le lieu d’en parler, vu qu’il n’y a ici personne qui le propose, et probablement personne qui voulût s’y soumettre. Ce que je veux dire, c’est que les Peaux Rouges en enlevant des chevelures ne justifient pas les blancs d’en faire autant.