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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/76

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DEERSLAYER

cette situation que depuis quelques minutes, quand Hetty sortit de la cabine, ou de la maison, comme ils nommaient souvent cette partie de l’arche, et s’assit à ses pieds sur un petit banc qu’elle avait apporté. Ce n’était pas en elle une chose extraordinaire, et Hutter n’y fit attention qu’en passant la main avec affection sur la tête de sa fille, sorte de caresse qu’elle reçut en silence.

Au bout de quelques minutes, Hetty se mit à chanter. Sa voix était basse et tremblante, mais elle avait un caractère solennel. L’air et les paroles étaient de la plus grande simplicité : c’était un hymne qu’elle avait appris de sa mère, et un de ces airs qui plaisent à toutes les classes dans tous les siècles, parce qu’ils partent du cœur et qu’ils lui sont adressés. L’effet de cette simple mélodie était toujours d’attendrir le cœur et d’adoucir les manières du vieux Tom. Hetty le savait, et elle en avait souvent profité, par suite de cette espèce d’instinct qui éclaire le faible d’esprit, surtout quand il a pour but de faire le bien.

La voix de Hetty ne s’était fait entendre que quelques instants, quand le bruit des rames cessa tout à coup, et son chant religieux s’éleva seul au milieu du silence de la solitude. À mesure que son sujet lui inspirait un nouveau courage, ses moyens semblaient augmenter, et quoiqu’il ne se mêlât rien de bruyant ni de vulgaire à sa mélodie, l’oreille y trouvait une force mélancolique toujours croissante, et enfin l’air fut rempli du simple hommage d’une âme presque sans tache. L’inaction des deux jeunes gens qui étaient sur l’avant du scow prouvait qu’ils n’étaient pas insensibles à ses accents, et leurs rames ne recommencèrent à être mouillées par les eaux du lac que lorsque le dernier de ces sons pleins de douceur eut expiré le long des rives qui, à cette heure, portaient à plus d’un mille la plus basse modulation de la voix humaine. Hutter lui-même fut ému ; car, tout grossier que l’eussent rendu ses anciennes habitudes, et quoique son cœur se fût endurci par la longue pratique des coutumes de l’extrême frontière qui séparait la civilisation de l’état sauvage, son caractère avait ce mélange de bien et de mal qui entre si généralement dans la composition morale de l’homme ?

— Vous êtes triste ce soir, mon enfant, lui dit Hutter, dont les manières et les discours prenaient souvent une partie de la douceur et de l’élévation de la vie civilisée, à laquelle il n’avait pas été étranger dans sa jeunesse, quand il causait ainsi avec la plus jeune de ses filles ; nous venons d’échapper à des ennemis, et nous devrions plutôt nous réjouir.

— Vous n’en ferez rien, mon père, dit Hetty sans répondre à