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DEERSLAYER

meilleure éducation semblaient constamment vouloir croître, mais étaient étouffés par l’ivraie d’une vie pendant laquelle les efforts pénibles qu’il avait eu à faire pour assurer sa subsistance et sa sûreté avaient émoussé ses sentiments et endurci son cœur. En arrivant sur l’arrière, il dit qu’il venait changer de poste avec Deerslayer, et prenant la rame du jeune chasseur, il l’envoya gouverner le scow sur l’arrière. Par ce changement, Hutter se trouva seul avec Hurry.

Hetty avait disparu quand Deerslayer arriva sur l’arrière, et il y resta seul quelque temps, tenant en main l’aviron-gouvernail. Cependant Judith ne tarda point à sortir de la cabine, comme si elle eût été disposée à faire les honneurs du scow à un étranger qui rendait service à sa famille. Les étoiles donnaient assez de clarté pour permettre de distinguer clairement les objets dont on n’était pas éloigné, et les yeux brillants de Judith quand ils rencontrèrent ceux du jeune chasseur avaient une expression d’intérêt que celui-ci découvrit aisément. Ses beaux cheveux ombrageaient sa physionomie animée quoique douce, et la rendaient encore plus belle même à cette heure, comme la rose est plus aimable quand elle est à demi cachée sous son feuillage. Les relations de la vie ne connaissent guère la cérémonie dans les bois, et l’admiration que Judith excitait généralement lui avait donné une aisance qui, sans aller jusqu’à une assurance trop libre, ne prêtait certainement pas à ses charmes l’aide de cette retenue modeste que les poètes aiment à décrire.

— J’ai cru que je mourrais de rire, Deerslayer, dit-elle sans autre préambule, mais avec un air de coquetterie, en voyant cet Indien tomber dans la rivière. C’était un sauvage de bonne mine. — Elle parlait toujours de la beauté comme d’une sorte de mérite. — Et cependant on ne pouvait s’arrêter pour voir si sa peinture résisterait à l’eau.

— Et moi je craignais de vous voir tomber sur le scow d’un coup de mousquet, Judith. C’était un grand risque pour une femme de courir en face d’une douzaine de Mingos.

— Et est-ce pour cela que vous êtes aussi sorti de la cabine en dépit de leurs mousquets ? demanda-t-elle avec plus d’intérêt véritable qu’elle n’aurait voulu en montrer, quoique avec un air d’indifférence qui était le résultat de la pratique, aidée par des dispositions naturelles.

— Les hommes ne sont pas habitués à voir une femme en danger sans aller à son secours. Les Mingos mêmes savent cela.

Il prononça ce peu de mots avec une simplicité si cordiale, que Judith l’en récompensa par un sourire plein de douceur. Malgré les