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DEERSLAYER

ment d’un homme qui sentait l’importance de s’assurer exactement de sa situation. Son repos avait été profond et non interrompu, et il se sentit en s’éveillant une clarté d’intelligence et une disposition à trouver des ressources, dont il avait grand besoin en ce moment. Il est vrai que le soleil n’était pas encore levé ; mais la voûte du firmament était enrichie de ces couleurs brillantes qui annoncent le jour et qui le terminent, et l’air était rempli des gazouillements des oiseaux, hymnes des tribus emplumées. Ces sons apprirent aussitôt à Deerslayer les risques qu’il courait. Le vent était encore léger ; cependant il avait un peu augmenté pendant la nuit, et comme les pirogues n’étaient que des plumes sur l’eau, elles avaient dérivé deux fois plus loin qu’on ne s’y était attendu, et, ce qui était encore plus dangereux, elles s’étaient tellement approchées de la montagne, qui s’élevait perpendiculairement en cet endroit sur la rive orientale, qu’il ne perdait pas une note du chant des oiseaux. Mais ce n’était pas le pire : la troisième pirogue avait pris la même route, et elle dérivait lentement vers une pointe sur laquelle elle devait nécessairement toucher, à moins qu’elle n’en fût écarté par un changement de vent, ou par les efforts de la main humaine. À tout autre égard, il ne vit rien qui attirât son attention ou qui pût lui inspirer quelque alarme. Le château s’élevait sur ses pilotis, presque sur la même ligne que les pirogues, car elles avaient fait plusieurs milles à la dérive pendant le cours de la nuit, et l’arche était amarrée comme on l’avait laissée.

Naturellement toute l’attention de Deerslayer se porta d’abord sur la pirogue qui était la plus avancée. Elle était déjà près de la pointe, et quelques coups de rames suffirent pour faire voir au jeune chasseur que la pirogue toucherait avant qu’il lui fût possible de l’atteindre. Précisément en ce moment le vent fraîchit fort mal à propos, et rendit la dérive du petit esquif plus rapide et plus certaine. Sentant l’impossibilité de l’empêcher de venir en contact avec la terre, il résolut sagement de ne pas s’épuiser par des efforts inutiles ; et après s’être assuré que sa carabine était bien amorcée, il avança lentement et avec circonspection vers la pointe, ayant soin de faire un détour pour n’être exposé que d’un côté en s’approchant.

La pirogue abandonnée à elle-même continua à dériver, et toucha sur un petit rocher à fleur d’eau à vingt ou vingt-cinq pieds du rivage. Deerslayer était alors par le travers de la pointe, et il tourna le cap de sa pirogue vers la terre. Celle qui avait touché resta un instant sur le rocher ; mais ensuite l’eau, s’étant élevée d’une ma-