Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui. Vous ne me dépècerez jamais comme un quartier de bœuf, tant que j’aurai la force de me défendre. Mais voyons ; le sommeil me gagne ; quelqu’une de mes côtes est-elle brisée ?

— Non.

— Tous mes os sont-ils en bon état ?

— Oui.

— Mason, avancez-moi cette bouteille. Et ayant bu un grand verre de vin, il tourna le dos à ses deux compagnons d’un air fort délibéré, en leur criant d’un ton de bonne humeur : — Bonsoir, Mason ! bonne nuit, Galien.

Le capitaine Lawton avait un profond respect pour les connaissances chirurgicales du docteur Sitgreaves ; mais il était d’un scepticisme complet à l’égard des remèdes médicinaux dont l’effet doit opérer intérieurement. Il disait souvent qu’un homme qui avait l’estomac plein, le cœur ferme et la conscience nette, devait braver le monde et toutes ses vicissitudes. La nature lui avait accordé la fermeté du cœur ; et quant aux deux autres points qui lui paraissaient nécessaires pour compléter la prospérité humaine, la vérité veut que nous ajoutions qu’il tâchait aussi de n’avoir pas de reproche à se faire. Une de ses maximes favorites était que les dernières parties du corps humain que la mort attaquait étaient d’abord la mâchoire et enfin les yeux ; d’où il concluait que la diète était contre nature, et que les yeux devaient veiller à ce qu’il n’entrât dans le sanctuaire de la bouche que ce qui pouvait lui être agréable.

Le chirurgien, qui connaissait parfaitement les opinions du capitaine, jeta sur lui un regard de commisération, tandis que Lawton lui tournait le dos très-cavalièrement ainsi qu’à Mason. Il replaça dans sa boîte officinale quelques fioles qu’il en avait tirées, fit brandir sa scie sur sa tête avec un air de triomphe, et, sans daigner dire un seul mot au capitaine, alla faire une visite à l’officier installé dans la belle chambre. Mason s’apprêtait à souhaiter le bonsoir à son capitaine, mais s’apercevant à sa respiration qu’il était déjà endormi, il se hâta d’aller prendre congé des dames, remonta à cheval et partit au galop pour rejoindre sa troupe.