Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/189

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inanimé avec l’ardeur de la plus violente passion. L’expression de la physionomie de la belle étrangère était mobile. L’admiration et le chagrin étaient pourtant les deux passions qui semblaient avoir l’ascendant, et la dernière était indiquée par de grosses larmes qui tombaient de ses yeux sur le portrait à des intervalles inégaux. Chaque mouvement d’Isabelle était marqué par un enthousiasme qui était particulier à son caractère, et chaque passion triomphait à son tour dans son cœur. La fureur du vent qui sifflait autour des angles du bâtiment était en accord parfait avec ses sentiments, et elle se leva pour s’approcher d’une fenêtre de son appartement. Elle était alors entièrement cachée aux yeux de Frances, qui allait se lever pour s’approcher d’elle, quand des sons dont la mélodie allait au cœur l’enchaînèrent sur sa chaise. L’air avait quelque chose d’étrange la voix n’avait pas beaucoup d’étendue, mais l’exécution surpassait tout ce que Frances avait jamais ouï, et elle resta immobile, cherchant à étouffer le faible bruit de son haleine jusqu’à ce qu’Isabelle eût fini de chanter les paroles suivantes :


« Le vent souffle sur le sommet de la montagne ; les chênes qui la couvrent sont dépouillés de leur feuillage ; les vapeurs s’élèvent lentement de la fontaine ; la glace brille sur les bords du ruisseau, toute la nature cherche le calme de cette saison de l’année mais le repos a abandonné mon sein. »

« La tempête a longtemps versé ses fureurs sur mon pays : longtemps ses guerriers en ont supporté le choc ; notre chef, boulevart élevé sur le rocher de la liberté, a longtemps ennobli son poste, l’ambition démesurée se relâche de ses prétentions, et cependant une tendresse malheureuse bannit le sourire de mes lèvres. »

« Au dehors on entend mugir la fureur sauvage de l’hiver ; on voit l’arbre aride dépouillé de ses feuilles ; mais le soleil vertical du sud paraît pour faire tomber sur moi sa chaleur dévorante. Au dehors on voit se montrer tous les signes d’une saison glaciale ; mais au dedans le feu de la passion me consume. »


Frances abandonna son âme tout entière aux charmes de la mélodie, quoique les paroles de la chanson exprimassent un sens qui, réuni aux événements de cette journée et de celle qui l’avait précédée, faisait naître dans son sein un sentiment d’inquiétude qu’elle n’avait jamais éprouvé auparavant. Isabelle se retira de la fenêtre à l’instant où le dernier son de sa voix venait de se faire entendre à l’oreille de celle qui l’écoutait, et pour la première fois elle aperçut la figure pâle de sa compagne. Un feu soudain anima en même temps les joues des deux jeunes filles ; l’œil bleu de Frances rencontra un instant l’œil noir d’Isabelle, et