Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/298

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qui servent votre prince. L’or et le rhum ont acheté leur loyauté.

— Il est très-probable que j’ai commis une méprise, dit l’aumônier en jetant un regard furtif sur la taille colossale et les épaisses moustaches de son compagnon ; mais les bruits qui courent en Angleterre, et la crainte de rencontrer un ennemi qui ne vous ressemblât pas, m’ont déterminé à fuir en vous voyant approcher.

— Ce n’est pas un parti très-judicieux, car Roanoke a un grand avantage sur vous du côté des jambes. D’ailleurs en cherchant à éviter Scylla vous pouviez tomber dans Charybde. Ces bois et ces rochers peuvent cacher les ennemis que vous deviez le plus craindre.

— Les sauvages ! s’écria l’aumônier en se plaçant par instinct derrière le capitaine.

— Pires que des sauvages, s’écria Lawton en fronçant le sourcil d’une manière qui ne calma nullement les craintes de son compagnon ; des hommes qui, sous le masque du patriotisme, répandent partout la terreur et la dévastation, qui sont dévorés d’une soif insatiable de pillage, et près desquels les Indiens, pour la férocité, ne sont que des enfants ; des monstres dont la bouche ne fait entendre que les mots de liberté et d’égalité, et dont le cœur est le séjour de tous les vices et de tous les crimes ; ces messieurs, en un mot, qu’on nomme les Skinners.

— J’en ai entendu parler dans notre armée, mais je les croyais aborigènes.

— En ce cas, vous faisiez injure aux sauvages, répondit Lawton avec son ton naturellement sec.

Ils arrivèrent bientôt à l’endroit où était resté Hollister, qui vit avec une grande surprise le caractère sacré du prisonnier que son capitaine ramenait. Lawton donna des ordres sur-le-champ, et ses dragons se mirent à recueillir les effets les plus précieux sauvés de l’incendie dont il leur était possible de se charger. Le capitaine ayant pu faire alors monter son révérend compagnon sur un excellent cheval, reprit le chemin des Quatre-Coins.

Singleton ayant désiré que les restes de sa sœur fussent transportés au poste où son père commandait, on fit de bonne heure tous les préparatifs nécessaires à cet effet, et l’on envoya un messager au colonel pour lui porter la triste nouvelle de la mort de sa fille. Les blessés anglais furent réunis à l’aumônier, et vers le milieu du jour Lawton vit que tous les apprêts étaient tellement avancés, qu’il était probable que, sous quelques heures, il