Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/320

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votre propre fils était blessé et presque mourant ? C’est chez mon père qu’il a trouvé des soins et des secours. Supposez qu’il s’agisse en ce moment de ce fils, l’orgueil de votre vieillesse, la consolation et l’appui de vos enfants orphelins, aurez-vous le courage de déclarer mon frère coupable ?

— De quel droit Heath fait-il de moi un bourreau ? s’écria le vétéran avec une émotion qu’il cherchait à maîtriser. Mais je m’oublie. Allons, Messieurs, retirons-nous. Il faut accomplir notre devoir pénible.

— Ne sortez pas ! ne sortez pas ! s’écria Frances ; pouvez-vous arracher un fils à son père, un frère à sa sœur, avec tant de sang-froid ? Est-ce là cette cause que j’ai tant chérie ? Sont-ce là les hommes qu’on m’a appris à respecter ? Mais vous vous adoucissez, vous m’écoutez, la pitié vous parle, vous pardonnerez.

— Marchons, Messieurs, dit le colonel en s’avançant vers la porte, et en se redressant avec un air de fierté militaire dans le vain espoir de calmer son agitation.

— Ne marchez pas encore ! écoutez-moi ! s’écria Frances en lui serrant la main avec un effort convulsif. Colonel Singleton, vous êtes père : pitié, compassion, merci pour le fils et pour la fille ! Oui, vous avez eu une fille ; c’est sur ce sein qu’elle a rendu le dernier soupir ; ce sont ces mains qui lui ont fermé les yeux ; ces mains jointes devant vous en prière lui ont rendu les derniers devoirs. Pouvez-vous me condamner maintenant à en faire autant pour mon frère ?

Le vétéran lutta contre une violente émotion et il ne la subjugua qu’en laissant échapper un profond gémissement. Il jeta autour de lui un regard de fierté comme pour s’applaudir de sa victoire ; mais cette victoire ne fut que momentanée, et son émotion triompha. Sa tête blanchie par soixante-dix hivers tomba sur l’épaule de la jeune fille qui le suppliait avec l’énergie du désespoir. Le sabre qui avait été son compagnon dans tant de combats lui échappa des mains, et il s’écria :

— Que Dieu vous en récompense ! et il ne put retenir ses sanglots.

Le colonel Singleton fut assez longtemps à se remettre de son agitation. Lorsqu’il l’eut maîtrisée, il remit Frances, qui avait perdu connaissance, entre les bras de sa tante, et se tournant vers ses collègues avec un air de résolution, il leur dit :

— Messieurs, nous avons maintenant à nous acquitter de nos