Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avoir été outragée ou insultée par un soldat américain, elle n’en frémissait pas moins à la seule idée de s’exposer toute seule. Quand donc elle entendit le bruit des pas d’un cheval marchant lentement derrière elle, elle se retira par timidité dans un bouquet de bois qui croissait sur les rives d’un ruisseau descendant d’une hauteur peu éloignée. C’était une vedette qui passa sans la remarquer, et dans le fait elle s’était vêtue de manière à attirer le moins d’attention possible. Le cavalier continua sa route en fredonnant un air à demi-voix, pensant peut-être à quelque autre belle qu’il avait laissée sur les bords du Potomac dans la fleur de sa beauté.

Frances écouta avec inquiétude le bruit de ses pas qui s’éloignaient, et dès qu’elle cessa de les entendre, elle quitta sa retraite et avança encore à quelque distance. Mais enfin effrayée par les ténèbres qui s’épaississaient et par le silence qui régnait autour d’elle, elle s’arrêta pour réfléchir sur ce qu’elle avait entrepris. Se dégageant la tête du capuchon de sa mante, elle s’appuya contre un arbre, et fixa ses regards sur le sommet de la montagne qui était le but de son excursion nocturne. Elle s’élevait dans la plaine comme une vaste pyramide dont l’œil ne pouvait qu’imparfaitement distinguer les contours. On pouvait en discerner la cime un peu mieux, parce qu’elle se dessinait sur un fond de légers nuages entre lesquels on voyait de temps en temps briller quelques étoiles, bientôt cachées par des vapeurs que le vent chassait devant lui. Si elle retournait sur ses pas, Henry et le colporteur passeraient probablement la nuit dans une fatale sécurité sur cette montagne sur laquelle ses yeux étaient toujours fixés dans l’espoir de découvrir quelque lumière qui pourrait diriger ses pas. La menace des officiers américains retentissait encore à ses oreilles, et l’excitait à se remettre en marche ; mais la solitude dans laquelle elle se trouvait, l’heure, les dangers du chemin, l’incertitude de trouver la chaumière, et, ce qui était encore plus effrayant, la possibilité d’y rencontrer des inconnus et des criminels peut-être, tous ces motifs la portaient à la retraite.

L’obscurité croissante rendait de moment en moment les objets moins distincts, et des nuages épais se rassemblant derrière la montagne faisaient qu’on ne pouvait plus même en reconnaître la forme. L’énorme montagne semblait avoir entièrement disparu. Enfin, une clarté faible et tremblante brilla aux yeux de Frances, semblable à la lumière d’un feu, mais cette illusion s’évanouit