Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/49

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nait et rangeait les marchandises qu’elle venait d’acheter, et Frances l’aidait complaisamment sans songer à ses propres emplettes. L’étranger rompit le silence tout à coup :

— Si c’est à cause de moi, dit-il, que le capitaine Wharton conserve son déguisement, je l’engage à bannir toute crainte et à se détromper. Quand j’aurais eu quelques motifs pour le trahir, ils seraient sans force dans les circonstances présentes.

Frances tomba sur sa chaise, pâle et interdite. La théière que miss Peyton levait lui échappa des mains ; Sara resta muette de surprise sans penser davantage aux marchandises étalées sur ses genoux ; M. Wharton resta comme stupéfait ; mais le capitaine, après avoir hésité un instant par suite de son étonnement, s’élança au milieu de la chambre, et jeta loin de lui tout ce qui servait à le déguiser.

— Je vous crois, s’écria-t-il, je vous crois de toute mon âme, et au diable le déguisement ! Mais comment se fait-il que vous m’ayez reconnu ?

— Vous avez si bonne mine sous vos propres traits, capitaine, dit Harper avec un léger sourire, que je vous engage à ne jamais les cacher. En supposant que je n’aie pas eu d’autres moyens pour vous reconnaître, croyez-vous que ceci n’ait pas été suffisant pour vous découvrir ? Et en même temps il montra un portrait suspendu sur la boiserie, représentant un officier anglais en uniforme.

— Je m’étais flatté, dit Henry en riant, que j’avais meilleure mine sur cette toile que sous mon déguisement. Il faut que vous soyez bon observateur, Monsieur.

— La nécessité m’y a contraint, répondit Harper en se levant.

Il s’avançait vers la porte quand Frances, se précipitant au devant de lui, lui saisit une main, la serra entre les siennes, et lui dit avec l’accent de la nature, les joues couvertes du plus vif incarnat : — Vous ne trahirez pas mon frère ! il est impossible que vous le trahissiez.

Harper s’arrêta, resta un moment les yeux fixés sur l’aimable jeune fille avec un air d’admiration, et appuyant une main sur son cœur, il lui dit d’un ton solennel. — Je ne le dois, ne le veux, ni ne le puis. Étendant alors une main sur la tête de Frances, il ajouta : — Si la bénédiction d’un étranger est de quelque prix à vos yeux, recevez-la, mon enfant. Et, saluant toute la compagnie, il se retira dans son appartement.