Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/56

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Puissent se terminer ainsi les cruels débats qui déchirent ma patrie ! Puisse un soir de gloire et de bonheur succéder à un jour de souffrance et de calamité !

Frances, qui était près de lui, fut la seule qui l’entendit ; jetant sur lui un regard à la dérobée, elle le vit la tête nue et les yeux élevés vers le ciel. Ses traits n’offraient plus cette expression paisible et presque mélancolique qui leur était habituelle ; ils semblaient animés par le feu de l’enthousiasme, et un léger coloris était répandu sur ses traits pâles.

— Un tel homme ne peut nous trahir, pensa-t-elle ; de pareils sentiments ne peuvent appartenir qu’à un être vertueux.

Chacun se livrait encore à ses réflexions silencieuses, quand on vit venir Harvey Birch, qui avait profité du premier rayon du soleil pour se rendre aux Sauterelles. Il arriva luttant contre le vent qui soufflait encore avec force, le dos courbé, la tête en avant, les bras faisant le balancier de chaque côté ; il marchait du pas qui lui était ordinaire, du pas leste et allongé d’un marchand qui craint de perdre l’occasion de vendre en arrivant trop tard.

— Voilà une belle soirée, dit-il en saluant la compagnie sans lever les yeux, une soirée bien douce, bien agréable pour la saison.

M. Wharton convint de la vérité de cette remarque et lui demanda avec bonté comment se portait son père.

Harvey entendit la question et garda le silence. Mais M. Wharton la lui ayant faite une seconde fois, il lui répondit d’une voix entrecoupée par un léger tremblement : — Il s’en va grand train. Que faire contre l’âge et le chagrin ?

Une larme brilla dans ses yeux pendant qu’il prononçait ces paroles ; il se détourna pour l’essuyer avec sa main ; mais ce mouvement de sensibilité n’avait pas échappé à Frances, qui sentit pour la seconde fois que le colporteur s’élevait dans son estime plus qu’il ne l’avait encore fait jusqu’alors.

La vallée dans laquelle se trouvait l’habitation dite des Sauterelles s’étendait du nord-ouest au sud-est, et la maison étant située à mi-côte d’une colline, une percée, pratiquée en face de la terrasse entre une montagne et des bois, faisait apercevoir la mer dans le lointain. Les vagues, qui naguère venaient se briser avec fureur sur la côte, n’offraient plus que ces ondulations régulières qui succèdent à une tempête, et un vent doux et léger