Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/34

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Dutton que sa fille reprenait connaissance, et qu’il n’avait pas d’inquiétude à avoir. Pourquoi y resta-t-il si longtemps ? je le donne à deviner au lecteur, car Mildred avait été conduite sur-le-champ dans sa petite chambre, et il ne la revit que quelques heures après.

Quand notre jeune marin retourna sur le plateau, il trouva la compagnie augmentée. Richard, ayant fait, sa commission, était venu rejoindre son maître, et Tom Wychecombe, l’héritier qu’avait choisi le baronnet, y était aussi, en grand deuil de son père putatif, le juge. Ce jeune homme venait fréquemment, depuis quelque temps, à la station des signaux, feignant de partager le goût de son oncle pour l’air de la mer et la vue de l’océan. Il avait vu bien des fois le jeune lieutenant de vaisseau, et chaque entrevue était devenue moins amiable que la précédente, pour une raison que chacun des jeunes gens connaissait fort bien. Quand ils se rencontrèrent en cette occasion, ils se saluèrent donc d’un air froid et hautain, et les regards qu’ils se jetaient auraient pu être appelés hostiles, si un air d’ironie sinistre n’eût été remarquable dans ceux de Tom Wychecombe, ce qui ne l’empêcha pourtant pas d’adresser la parole au jeune marin d’un ton en apparence amical.

— J’apprends, monsieur Wychecombe, dit l’héritier du juge, car il pouvait du moins prendre légalement ce titre, que vous vous êtes exercé ce matin dans votre métier en vous balançant au bout d’une corde sur les rochers. C’est un exploit qui est plus du goût d’un Américain que d’un Anglais, à ce que je pense ; mais j’ose dire qu’on est obligé, dans les colonies, de faire bien des choses auxquelles nous ne songeons jamais en Angleterre.

Ces mots furent prononcés avec un air d’indifférence, quoiqu’ils fussent adroitement calculés ; car la principale faiblesse de sir Wycherly était une admiration démesurée de son pays et de tout ce qu’il contient, admiration basée sur l’ignorance. Il était en outre fortement enclin à ce sentiment de mépris pour les dépendances de l’empire britannique, qui semble inséparable de l’union politique entre les habitants de la mère-patrie et ceux de ses colonies. Dans toutes les situations de la vie, il faut que l’égalité soit parfaite pour qu’il y ait un parfait respect ; et l’on peut regarder comme une règle que les hommes prennent toujours leur part de la supériorité que peut avoir la communauté à laquelle ils appartiennent. C’est d’après ce principe que celui qui loge dans un grenier, à Paris ou à Londres, est si porté à se considérer comme bien au-dessus du locataire d’une bonne maison dans un village. Ce genre de mépris pour ses colonies du nord de l’Amérique était alors à son plus haut point