Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/42

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ce fut vous qui montâtes à l’abordage et qui fîtes toute la besogne.

— Et qu’ont dit les lords de l’amirauté ?

— Tout ce que je pouvais désirer en ce qui me concerne, Monsieur, car ils m’envoyèrent le brevet de lieutenant de vaisseau dès la semaine suivante. Je voudrais seulement qu’ils eussent été aussi généreux à l’égard de M. Wallon, qui a aussi été blessé, et qui s’est conduit aussi bien qu’il est possible.

— Cela n’aurait pas été sage, monsieur Wychecombe, répondit l’étranger d’un ton froid, car c’eût été récompenser un manque de succès : or le succès est tout, dans la guerre. — Ah ! voilà les autres bâtiments qui commencent à paraître. — Eh ! Atwood ?

Cette remarque fit que tous les regards se dirigèrent vers la mer, qui offrait alors un spectacle digne d’une attention passagère. Les vapeurs semblaient s’être amoncelées en une masse de quatre-vingts à cent pieds de hauteur, laissant au-dessus une atmosphère parfaitement claire, dans laquelle on voyait le haut de la mâture et de la voilure de l’escadre dont l’étranger avait parlé, formant en totalité seize voiles. On y voyait les onze vaisseaux à deux ponts et les trois frégates s’élevant en pyramides de voiles, s’avançant lentement vers le mouillage, qui, dans cette rade, n’était qu’à une portée de pistolet du rivage ; tandis que les cacatois et la partie supérieure des perroquets du sloop semblaient s’élever comme un monument sur la surface du brouillard. Après un moment d’attention, le lieutenant découvrit même la tête du mât de cacatois du cutter, sa flamme flottant nonchalamment, et cachée en partie dans les vapeurs. Le brouillard semblait tomber au lieu de s’élever, quoiqu’il roulât évidemment sur la surface de l’eau et donnât du mouvement à cette scène. On ne tarda pas à apercevoir les huniers des vaisseaux de ligne, et pour la première fois des êtres vivants se firent voir sur ces masses mouvantes.

— Je suppose que les gabiers de la grande hune nous voient aussi bien que nous les voyons, dit l’étranger ; ils doivent voir ce promontoire et ce mât de signaux, monsieur Wychecombe, et il ne peut y avoir de danger qu’ils s’approchent trop près.

— Je ne le crois pas, Monsieur ; les gabiers peuvent voir les rochers au-dessus du brouillard, aussi aisément que nous voyons les mâts des vaisseaux. — Ah ! monsieur Dutton ! il y a un pavillon de contre-amiral flottant à bord du vaisseau qui est le plus à l’est.

— C’est ce que je vois, Monsieur ; et si vous regardez le troisième vaisseau qui est la ligne du côté de l’ouest, vous y verrez flotter au mât de misaine un morceau d’étamine taillé en carré qui annonce qu’il y a un vice-amiral sur ce bord.