Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/425

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— Eh bien, sir Gervais, si vous ne vous souciez pas de conter cette histoire à l’amiral Bleu, je puis le faire pour vous, dit Galleygo, qui se piquait d’être en état de faire la description exacte d’un combat naval. Je crois que la rotation de cette journée fera plaisir à un amiral qui a été blessé le lendemain si dangereusement.

Bluewater se montrant disposé à l’écouter, Galleygo commença le récit des évolutions des vaisseaux pendant la première journée, comme nous l’avons déjà fait, et il réussit d’une manière surprenante à rendre sa narration intéressante et parfaitement claire et intelligible, grâce à la connaissance parfaite qu’il avait acquise des expressions techniques qui étaient nécessaires, et à la manière dont il savait les employer à propos. Quand il en vint au moment où l’escadre anglaise se divisa en deux lignes, l’une au vent et l’autre sous le vent des deux bâtiments français, il en fit la description d’une manière si vive et si lucide, que le commandant en chef lui-même quitta sa plume et l’écouta avec plaisir.

— Qui pourrait s’imaginer, Richard, dit-il, que ces drôles, du haut des hunes, nous surveillent de si près, et qu’ils soient en état de rendre un compte si exact de tout ce qui se passe ?

— Oui, Gervais, mais qu’est-ce que la vigilance de Galleygo auprès de celle de l’œil qui voit tout ? Dans un moment comme celui-ci, c’est une pensée terrible de se souvenir que rien ne peut être oublié. ?’ai lu quelque part que pas un jurement ne se prononce qu’il ne soit répété à toujours dans l’espace par les vibrations du son ; et que pas une prière n’est bégayée sans que le souvenir en soit conservé sous le sceau indélébile de la volonté du Tout-Puissant.

— Il y avait peu d’analogie entre les idées religieuses des deux amis. Marins l’un et l’autre, — et quoique ce mot ne signifie pas nécessairement qu’ils fussent pécheurs à un degré extraordinaire, il n’implique pas non plus qu’ils fussent des modèles de sainteté, — chacun d’eux avait reçu l’éducation élémentaire d’usage, puis avait été lancé en quelque sorte à la dérive sur l’Océan de la vie, pour que la graine prît racine et que le fruit mûrit aussi bien que faire se pourrait. Un bien petit nombre de ceux « qui voguent dans des vaisseaux sur le grand Océan, » et qui échappent aux effets plus abrutissants d’une vie si dure, sont entièrement dépourvus d’idées religieuses. Passant une si grande partie de sa vie pour ainsi dire en la présence immédiate du pouvoir de Dieu, le marin est disposé à révérer sa toute-puissance, même quand il contrevient à ses lois. Mais, à l’égard de presque tous ceux à qui la nature a accordé un tempérament tendant à une profonde sensibilité, comme c’était le cas de Bluewater, le mauvais