Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/132

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— Ce que je voulais dire, capitaine, c’est que si le lougre n’avait pas tiré si tôt sa première bordée, et qu’il nous eût laissé le temps de nous mettre hors de portée, nous serions revenus sur lui avant qu’il eût en le temps de recharger, et nous l’aurions pris à l’abordage, en dépit de la brise qui le favorisait. Ajoutez que cette bordée blessa trois hommes de la launch, ce qui paralysa trois de nos avirons à l’instant le plus critique. Vous savez que tout dépend de la fortune en de pareils moments, et elle se déclara contre nous.

— Umph ! — Je ne peux pas écrire à Nelson : « Tout allait au mieux, Mylord, jusqu’au moment où trois de nos avirons furent frappés de paralysie ; ce qui nous retint en arrière. » Non, non ; cela ne peut se lire dans la gazette. — Voyons, Griffin ! — Après tout, le lougre s’est éloigné de vous, et vous l’auriez pris s’il fût resté stationnaire, au lieu de faire voile au plus près du vent ?

— Sans contredit. S’il fût resté stationnaire, comme vous le dites, rien ne nous aurait empêchés de l’aborder.

— Fort bien. — Il prit donc la fuite. — Le vent le favorisait. — Il fit force de voiles. — Toute tentative pour l’aborder fut inutile. Nos hommes ont montré leur bravoure ordinaire et se sont comportés au mieux ! — Oui, cela ne sonne pas mal, cela pourra passer. Mais cette maudite felouque, qu’en dirons-nous ? Vous voyez qu’elle est brûlée jusqu’à fleur d’eau, et elle va couler à fond dans quelques minutes.

— Sans doute, capitaine ; mais songez que pas un Français n’a osé monter à bord tant que nous y sommes restés.

— Bien. Je vois ce qu’il faut dire. — La felouque étant trop lourde pour se mettre en chasse, nous avons fait passer tout le monde sur les canots pour poursuivre l’ennemi ; mais nos efforts pour l’atteindre n’ont pu réussir ! — Ce Nelson est un diable, et j’aimerais mieux entendre tonner dix mille tempêtes que de recevoir une de ses lettres en style d’ouragan. Eh bien, je crois comprendre toute l’affaire à présent ; en en rendant compte, je parlerai de vous tous comme vous le méritez. L’affaire a été bien conduite, et vous méritiez d’obtenir du succès, quelle que soit la cause qui l’a empêché.

En parlant ainsi, le capitaine Cuff était plus près de la vérité que dans tout ce qu’il avait dit auparavant sur ce sujet.