Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/134

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CHAPITRE X.


« Oh ! c’est une pensée sublime que l’homme puisse se frayer un chemin sur l’Océan, — trouver un passage où il n’existe aucun sentier, — et forcer les vents — ces agents d’une puissance souveraine — a lui prêter leurs ailes indomptables, et à le transporter dans des climats éloignés. »
Wabe.



La situation de Ghita Caraccioli fut extrêmement pénible pendant le combat que nous venons de décrire. Heureusement pour elle il fut très-court, et Raoul l’avait laissée dans une ignorance complète de tout ce qui se passait, jusqu’au moment où le Feu-Follet avait ouvert son feu. Il est vrai qu’elle avait entendu la canonnade entre la felouque et les canots, mais on lui avait dit que c’était une affaire à laquelle le corsaire ne prenait aucune part ; et dans la chambre où elle était, le bruit paraissant plus éloigné qu’il ne l’était réellement, il avait été facile de la tromper. Mais pendant toute la durée du combat véritable, elle resta à genoux à côté de son oncle, et dès qu’il fut terminé, elle monta sur le pont pour intercéder en faveur des fuyards, comme nous l’avons vu.

Maintenant, la scène était entièrement changée. Le lougre n’avait point souffert ; ses ponts n’avaient pas été tachés de sang, et le succès de Raoul avait été aussi complet qu’il pouvait le désirer. Indépendamment de cet avantage, cet heureux résultat écartait les seuls dangers qu’il pût craindre, — une attaque par la frégate, ou une tentative par les canots pendant un calme ; car il n’était pas probable que des hommes qui venaient d’être tellement maltraités dans une entreprise si bien concertée, songeassent à la renouveler, quand ils ne pouvaient avoir encore oublié l’échec qu’ils venaient de recevoir. Des affaires de cette sorte exigent toute la discipline et la résolution qu’on peut trouver dans un service bien réglé, et qui ne peuvent exister pendant l’influence temporaire de la démoralisation qui suit une défaite. Tout le monde à bord du lougre regardait donc cette collision avec la Proserpine comme terminée, du moins pour le moment.

Ghita avait dîné, car le soleil commençait depuis quelque temps à descendre vers l’horizon, et elle resta sur le pont pour échapper à l’air renfermé d’une petite chambre, tandis que son oncle faisait sa sieste. Assise sous la tente du gaillard d’arrière, elle travaillait à l’aiguille, comme c’était sa coutume de le faire à pareille heure sur les hauteurs d’Argentaro. Raoul s’était assis près d’elle sur l’affût d’un