Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/151

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qui était son principal défaut aux yeux de Ghita, et qui ne pouvait manquer d’en paraître un très-grand à une jeune fille élevée comme elle l’avait été et ayant des sentiments de la plus haute piété, était l’erreur du jour, et Raoul avait du moins adopté cette erreur de bonne foi, circonstance qui le rendait, pour celle qu’il aimait, l’objet d’un pieux et saint intérêt, presque aussi puissant que la tendresse naturelle de son sexe pour celui à qui elle avait accordé toute son affection.

Tant qu’avait duré ce court combat contre les canots, et pendant le peu de temps qu’il avait été sous le feu de la frégate, Raoul avait été lui-même. Le tumulte et l’agitation d’un engagement l’armaient toujours de la force d’âme nécessaire pour des actions dignes de la réputation qu’il avait acquise ; mais pendant le reste de la journée il n’avait senti que peu de dispositions à guerroyer. Une fois assuré que ses mâts étaient encore solides ; la chasse ne lui avait causé que peu d’inquiétude ; et maintenant qu’il était à l’ancre sur une eau peu profonde, il se sentait à peu près comme le voyageur qui trouve une bonne auberge après la fatigue d’une journée pénible. Quand Ithuel lui parla de la possibilité d’une attaque nocturne par les canots, il lui répondit en riant par le proverbe qu’un enfant qui s’est brûlé les doigts craint le feu, et il ne s’en inquiéta guère. Cependant nulle précaution convenable ne fut négligée. Raoul avait coutume d’exiger beaucoup des hommes de son équipage dans les moments d’urgence ; mais, en toute autre occasion, il était aussi indulgent qu’un bon père au milieu d’enfants obéissants et respectueux. Cette qualité, et la fermeté et le sang-froid qu’il montrait invariablement dans le danger, étaient le secret de l’influence sans bornes qu’il exerçait sur son équipage ; tous ceux qui servaient sous ses ordres étant bien convaincus qu’il n’exigeait jamais de personne un devoir pénible sans que la nécessité l’y contraignît.

Dans l’occasion présente, dès que les matelots du Feu-Follet eurent soupé, il leur fut permis de se livrer à leurs danses ordinaires, et les chants romantiques de la Provence se firent entendre sur le gaillard d’avant. Il y régnait une gaieté cordiale, et il ne manquait que la présence de quelques femmes pour que cette scène ressemblât à l’amusement du soir d’un hameau sur la côte. Le beau sexe n’était pourtant pas complètement absent, ni en idée, ni en personne. Les chansons étaient remplies d’une galanterie chevaleresque, et Ghita les écoutait avec plaisir et intérêt. Elle était assise sur la lisse du couronnement, son oncle debout à son côté, tandis que Raoul se promenait sur le gaillard d’arrière et s’arrêtait à chaque tour pour exprimer