Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/171

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bâtiment d’un tel tirant d’eau dans un passage si étroit. Raoul ne négligea pas cet avantage, et Cuff avait viré deux fois, s’approchant à chaque fois de plus en plus près de l’îlot, avant d’être convaincu que ses canons ne lui rendraient aucun service tant qu’il n’aurait pu du moins le doubler ; et qu’alors ils lui deviendraient très-probablement inutiles, par un vent si léger, attendu la distance à laquelle il serait de son ennemi.

— Laissons aller ce vagabond, Griffin, dit-il après avoir fait cette importante découverte ; c’est déjà quelque chose d’avoir délivré la mer de l’un d’eux. D’ailleurs, nous ne sommes pas sûrs que ce soit un bâtiment ennemi, car il n’a pas hissé de pavillon, et il paraît sortir de Porto-Ferrajo, qui est un port ami.

— Raoul Yvard en a fait autant, non pas une fois, mais deux, murmura Yelverton, qui, n’ayant été employé dans aucune des tentatives faites contre le Feu-Follet, était du petit nombre de ceux qui doutaient un peu de la destruction de ce bâtiment. Ces deux jumeaux se ressemblent extrêmement, et surtout Pompée, comme disait le nègre Américain de ses deux enfants.

Personne ne fit attention à cette remarque faite à demi-voix, car l’illusion de la destruction du lougre était si forte à bord de la Proserpine, qu’il aurait été aussi inutile de vouloir persuader aux officiers et aux matelots que le Feu-Follet n’avait pas été brûlé, qu’il le serait de faire croire à une grande nation qu’elle n’est pas exempte des faibles et des préjugés dont on avoue l’existence dans des états moins populeux. La Proserpine vira de nouveau, et, hissant son pavillon, elle entra bientôt dans la baie de Porto-Ferrajo, et jeta l’ancre près de l’endroit que le lougre avait occupé en deux occasions différentes. Le gig fut mis à la mer, et le capitaine, accompagné de Griffin, comme interprète, se rendit à terre et alla faire sa visite de cérémonie aux autorités.

Le vent étant extrêmement léger, tout ce que nous venons de rapporter ne put se faire qu’en plusieurs heures ; et lorsque les deux officiers montèrent la rue escarpée qui conduisait chez le vice-gouverneur, le jour était assez avancé pour rendre convenable le moment pris pour cette visite. Cuff, ayant mis son grand uniforme, ses épaulettes et son épée, attira l’attention générale dès qu’on le vit entrer dans un canot, et Vito Viti avait pris l’avance pour aller avertir son ami de la visite qu’il allait recevoir. Andréa Barrofaldi ne fut donc pas pris au dépourvu, et il eut quelques instants pour préparer ses excuses d’avoir été dupe d’un tour aussi impudent que celui qui lui avait été joué par Raoul Yvard. Il fit un accueil poli aux