Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/19

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de voiles établies que sur le grand mât et sur le mât de misaine. Le troisièmement, placé sur le couronnement et appelé mât de tape-cul, du nom de sa voile, avait sa voile carguée ; destinée à bien maintenir le bâtiment au vent, elle ne s’établit habituellement qu’au plus près. Il n’y avait en ce moment sur la mer rien qu’on pût strictement appeler du vent, quoique Ghita sentît ses joues, qui étaient naturellement échauffées par le sang de son pays, rafraîchies par un zéphyr si doux, qu’il séparait à peine de temps en temps des tresses de cheveux, qui semblaient le disputer de finesse avec la soie du sol qui l’avait vu naître ; et si ces boucles naturelles eussent été un peu moins légères, elles auraient à peine été dérangées par le souffle presque insensible de la brise de mer. Mais les voiles du lougre étaient en toile si légère qu’elles se gonflaient comme un ballon au moindre souffle de vent, quoiqu’elles vinssent de temps en temps battre les mâts dans ces tangages occasionnés par la houle, et les voiles en forte toile étaient réservées pour les mauvais temps ; mais, en général, ces voiles en toile légère restaient gonflées et recevaient le vent comme par suite de leur propre volonté plutôt que par la force d’un pouvoir mécanique. L’effet qui en résultait sur la coque était presque magique ; car, malgré le peu de force du pouvoir presque imperceptible, qui chassait le lougre en avant, la légèreté et la forme exquise de ce bâtiment le mettaient en état de filer trois à quatre nœuds par heure. Son mouvement était à peine sensible pour ceux qui étaient à bord, et il semblait glisser plutôt que fendre l’eau, la trace que son taille-mer laissait sur la surface n’excédant guère celle que laisserait un doigt traîné avec vitesse dans cet élément. Cependant, le plus léger mouvement du gouvernail changeait sa route, mais il y obéissait avec autant d’aisance et de grâce qu’en montre le cygne en décrivant différents détours dans l’eau. Dans le moment actuel, la voile de tape-cul, qui était carguée et qui pendait en festons sur la vergue légère, prête à servir au besoin, ajoutait singulièrement à l’air d’être « prêt à tout », qui lui donnait aux yeux d’un marin cette apparence suspecte, qui avait éveillé les soupçons de Maso.

Les préparatifs pour hisser le pavillon, que l’œil vif et intelligent de Ghita avait aperçus, et qui n’avaient pas même échappé aux regards moins clairvoyants des artilleurs, se faisaient au bout extérieur de la vergue de tape-cul. Un mousse était monté sur le couronnement, et il était évident qu’il préparait la drisse du pavillon dans ce dessein. Au bout d’une demi-minute, il disparut, et l’on vit hisser régulièrement le pavillon à la place qui lui était destinée. D’abord