Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— M. Nelson ne fait sans doute que son devoir, répondit Raoul d’un ton grave. Son devoir est de veiller à la sûreté du commerce anglais, et il a le droit de faire un pareil marché ; mais nous ne pouvons conclure le traité à conditions égales. M. Nelson fait son devoir en agissant ainsi, tandis que je n’ai aucun pouvoir…

— Vous avez le pouvoir de parler, et vous pouvez nous dire quels ordres vous avez laissés à bord de votre lougre ; et où il se trouve en ce moment ; cela nous suffira.

— Non, Monsieur, je n’ai pas même ce pouvoir. Je n’ai pas le pouvoir de faire une chose qui me couvrirait d’infamie. Quand il s’agit de trahison, ma langue est soumise à des lois sévères, et ce n’est pas moi qui les ai faites !

Si Raoul eût prononcé ces mots d’un ton dogmatique et avec des manières théâtrales, ils auraient probablement fait peu d’impression sur Cuff ; mais son air de simplicité tranquille et de fermeté portait la conviction avec lui, et le capitaine anglais fut désappointé. Il aurait peut-être hésité à faire une telle proposition à un officier de la marine française, quelque peu de cas qu’on en fît, à cette époque, en Angleterre, et surtout parmi les officiers de l’escadre de Nelson ; mais il croyait fermement qu’un corsaire adopterait avec empressement un plan qui lui assurait la vie en récompense d’une trahison. D’abord il fut tenté de lancer un sarcasme sur l’incompatibilité qu’il croyait voir entre la profession de corsaire et les principes d’honneur professés par Raoul, mais le calme et l’air de véracité du jeune Français l’en empêchèrent. D’ailleurs, pour rendre justice à Cuff, il faut dire qu’il était trop généreux pour abuser du pouvoir qu’il avait sur son prisonnier.

— Vous ferez bien d’y réfléchir, monsieur Yvard, dit le capitaine après une bonne minute de silence. L’affaire est si grave qu’un peu de réflexion peut vous faire changer d’avis.

— Monsieur Cuff, je vous pardonne, si vous pouvez vous-même vous pardonner, répondit Raoul avec une dignité sévère, et se levant en même temps, comme pour montrer qu’il ne voulait plus accepter les politesses d’un tentateur. Je sais ce que vous pensez de nous autres corsaires ; mais un officier qui sert honorablement son pays doit hésiter longtemps avant d’exposer un homme à la tentation de commettre un acte contraire à son devoir. Le fait qu’il y va de la vie de son prisonnier doit inspirer encore plus de scrupule à un brave marin, pour profiter de ses craintes et ébranler ses principes. Mais, je le répète, je vous pardonne, si vous vous pardonnez à vous-même.

Cuff resta confondu ; tout son sang reflua vers son cœur, et parut