Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/299

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— Eh bien, où l’avez-vous laissé ? — Il est bon que vous sachiez que la vie de votre ancien ami M. Yvard peut dépendre de votre réponse.

— Je voudrais bien savoir… ! — Sur ma foi, cette Europe est une curieuse partie du monde, comme doivent en convenir tous ceux qui viennent d’Amérique. — Et qu’a donc fait le capitaine Raoul pour être dans un tel danger ?

— Vous devez savoir qu’il a été condamné à mort comme espion, et j’ai reçu ordre de faire exécuter la sentence aujourd’hui, à moins que je ne sois en possession de son lougre. En ce cas, nous pourrions avoir pour lui quelque indulgence ; car nous faisons la guerre aux nations, et non aux individus.

Cuff aurait probablement été embarrassé pour expliquer comment ce qu’il venait de dire s’appliquait à l’affaire dont il s’agissait ; mais présumant qu’il parlait à un homme qui n’était ni philosophe ni logicien, il marchait vers son but, sans s’inquiéter du chemin qu’il prenait pour y arriver. Mais il ne connaissait pas Ithuel, qui n’avait d’affection ni pour Raoul, ni pour le lougre, ni pour quoi que ce fût au monde, lui seul excepté ; tandis que sa haine pour l’Angleterre était incorporée à tout son système moral, si l’on peut dire qu’un tel homme avait un système moral. Il ne voyait rien à gagner pour lui à servir Raoul, quoiqu’il l’eût peut-être fait s’il n’avait eu pour cela aucun risque à courir ; mais il avait une si forte aversion pour les Anglais, qu’il se serait volontiers exposé à perdre la vie pour les empêcher de s’emparer du Feu-Follet. Son plus grand soin en ce moment fut donc d’arriver à ce but en courant lui-même le moins de danger possible.

— Et si vous pouvez avoir le lougre, capitaine, vous rendrez la liberté au capitaine Roule ? demanda-t-il avec un air d’intérêt.

— Oui — cela pourra être — quoique cela dépende de l’amiral. — Pouvez-vous me dire où vous l’avez laissé, et où il est probablement en ce moment ?

— Le capitaine Roule a déjà répondu à la première question ; il y a répondu devant le conseil de guerre. Mais quant à vous dire où le lougre est à présent, je défie qui que ce soit de le faire. Il m’est arrivé quelquefois, voyez-vous, capitaine, de me coucher le soir quand on piquait huit coups, et de le laissera dix ou quinze lieues, sous le vent d’une île, et en m’éveillant, quand on piquait huit coups le matin, de le trouver — juste à la même distance au vent de cette île. — Jamais je n’ai mis le pied sur un bâtiment calculant si mal.

— En vérité ! dit Cuff avec ironie. Je ne suis pas surpris que son commandant soit dans l’embarras.