Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/312

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montagnes, et ses hautes voiles prirent suffisamment la brise pour le porter au large trois ou quatre heures auparavant, tandis que la Terpsichore n’avait jamais été assez près de la terre pour se ressentir du calme. Elle présentait le cap au sud-ouest quand le vent de l’après-midi était arrivé, et l’on ne voyait plus alors que le sommet de ses mâts, tandis qu’elle faisait route avec un vent favorable entre Ischia et Capri. Quant à la Proserpine, lorsqu’on piqua trois coups dans le demi-quart de quatre à six heures du soir, c’est-à-dire à cinq heures et demie, elle était juste par le travers des petits îlots des Sirènes ; la brise d’occident commençait à mourir, quoique le bâtiment, pouvant mieux en profiter, marchât en avant avec plus de vitesse qu’il ne l’avait fait depuis midi.

Dans cette saison de l’année, le soleil se couche quelques minutes après six heures, il ne restait donc guère plus d’une demi-heure à s’écouler avant l’exécution du condamné. Cuff n’avait pas quitté un instant le pont, et il tressaillit quand il entendit piquer le premier coup. Winchester se tourna de son côté, et ses yeux parurent lui faire une question, car tout avait été préalablement convenu entre eux. Il ne reçut en réponse qu’un geste expressif, mais cela lui suffit. Il donna quelques ordres à voix basse, et l’on vit s’opérer un mouvement parmi les gabiers de misaine et sur tout le gaillard d’avant. On passa une corde dans une poulie au bout de la vergue de misaine, et l’on plaça en-dessous de cette vergue un caillebotis pour servir de plate-forme : — signes infaillibles d’une exécution prochaine.

Accoutumés comme l’étaient ces marins audacieux à braver les dangers de toute espèce, et à voir presque tous les genres de souffrances humaines, un singulier sentiment d’humanité avait pénétré dans leur cœur. Raoul était à la vérité leur ennemi ; quarante-huit heures auparavant, ils le détestaient sincèrement ; mais les circonstances avaient changé cette haine en un sentiment plus généreux. D’abord le physique du jeune corsaire prévenait en sa faveur, et ne ressemblait en rien au portrait que leur en avait fait un esprit de rivalité toujours actif et qui n’était pas sans amertume ; ensuite un ennemi triomphant avait été pour eux un être tout différent d’un homme tombé en leur pouvoir et livré à leur merci ; — enfin, leur générosité avait été émue par la conviction qu’une passion irrésistible, et non un vil motif d’espionnage, l’avait conduit à sa perte, et que, quoiqu’il fût coupable aux yeux de la loi, il n’avait pas eu des vues mercenaires et intéressées, même en supposant qu’en songeant à son amour il n’eût pas tout à fait oublié le besoin qu’il pouvait avoir de connaître les projets de ses ennemis. Toutes ces considérations, jointes à la