Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/355

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jour, car c’est une coquette qui est assez jolie pour ne pas avoir besoin de se couvrir le visage d’un voile. Dites à votre capitaine tout ce que vous savez, et si M. Cuff a envie de faire attaquer encore une fois mon Feu-Follet, montez sur le premier canot ; nous serons toujours charmés de revoir M. Clinch. — Quant à la route que nous comptons suivre, vous voyez que nous avons le cap tourné vers la belle France. Il y a de quoi faire une belle chasse. Adieu, mon cher Clinch, au revoir.

Tous les officiers serrèrent la main de Clinch, qui leur fit de nouveau, et avec émotion, ses remerciements de la manière libérale dont il était traité. Il suivit aussi ses canotiers dans son gig, et se dirigea vers le fanal qui brûlait encore à bord de la Proserpine. Le Feu-Follet mit le vent dans ses voiles en même temps, et disparut aux yeux de Clinch dans l’obscurité, tandis qu’il gouvernait vers l’ouest, comme s’il eût voulu traverser le détroit de Bonifacio pour se diriger vers la France.

Mais, dans le fait, Raoul n’avait pas cette intention. Sa croisière n’était pas finie ; et, quoique entouré d’ennemis, sa position n’était pas sans attraits pour un homme de son caractère. Pas plus tard que la veille du jour où il était entré dans la haie de Naples sous le costume d’un lazzarone, il avait capturé un transport chargé d’approvisionnements pour l’escadre anglaise, et l’avait envoyé à Marseille ; il savait qu’on en attendait un autre à chaque instant, et c’était une excuse aux yeux de son équipage pour ne pas s’éloigner encore de la baie. Les ressources qu’il fallait trouver en ayant toujours, pour ainsi dire, à courir la bouline ; le plaisir de prouver l’allure supérieure de son lougre ; les occasions de se distinguer et tous les autres motifs tirés de sa profession, n’étaient rien auprès du sentiment qui l’attirait vers Ghita. Il commençait aussi à se mêler à son amour une sensation voisine du désespoir. Quoique la jeune Italienne lui montrât constamment tant de douceur et même de tendresse, elle lui avait toujours tenu le même langage, et s’était montrée particulièrement ferme dans ses principes. Dans leurs conversations récentes — et nous n’avons pas cru nécessaire de les rapporter toutes — Ghita lui avait exprimé sa répugnance à unir son destin à celui d’un homme dont le Dieu n’était pas son Dieu, avec une force et une netteté qui ne permettaient pas de douter qu’elle ne parlât très-sérieusement, et que ses actions ne dussent être d’accord avec ses paroles. Ce qui achevait de démontrer clairement sa résolution, c’était la manière ingénue avec laquelle elle avouait toujours sans hésiter, qu’elle avait donné toute son affection à Raoul, et qui ne laissait aucun prétexte