Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/375

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question quand le combat sera terminé. Vous voyez que les Anglais sortent déjà de leurs canots, tandis que nous restons à l’arrière-garde des combattants.

— Tant mieux, corpo di Bacco ! Qui a jamais entendu parler d’une armée qui porte sa cervelle dans sa tête, comme le corps humain ? Non, non, signor Andréa ; je me suis muni d’un chapelet, et j’en compterai les grains par autant de pater et d’ave ; comme un bon catholique que je suis, tant que le combat durera. Si vous avez tant d’ardeur, et qu’il faille absolument que vous y preniez part, prononcez à haute voix un des discours des anciens consuls romains ; il s’en trouve à foison dans nos vieux livres.

Vito Viti l’emporta, et le vice-gouverneur fut obligé de partir sans armes, circonstance qui ne put guère influer sur le résultat du combat, car les bateliers, qu’il avait loués, indépendamment de ce qu’ils avaient exigé trois fois le prix d’usage pour leur temps et pour leurs peines, refusèrent opiniâtrement d’avancer à plus d’une demi-lieue des Français. Quoique à une telle distance, Raoul, en faisant, à l’aide d’une longue-vue, la reconnaissance des forces ennemies, reconnut les deux Italiens, et rit de bon cœur de cette découverte, en dépit des réflexions sérieuses qui s’offraient naturellement à son esprit dans un pareil moment.

Mais ce n’était pas l’instant de se livrer à la gaieté, et la physionomie de notre héros reprit sur-le-champ son air grave et sérieux. Voyant quel était le plan d’attaque des Anglais, il avait de nouveaux ordres à donner. Comme nous l’avons dit, son principal but étant que ses trois batteries pussent se soutenir mutuellement, il était nécessaire d’embosser le lougre ; cette manœuvre exécutée, Raoul jugea tous ses préparatifs terminés.

Suivit alors cette pause qui a ordinairement lieu entre les préparatifs et le combat. Ce court intervalle, à bord d’un bâtiment de guerre, est toujours marqué par un silence profond et solennel. Ce silence, dans un pareil moment, devient si important pour l’ordre, pour le concert, pour l’obéissance intelligente qui sont indispensables sur le pont étroit d’un navire, et au milieu de ses évolutions rapides, qu’un des premiers devoirs de la discipline est d’en inculquer la nécessité absolue, et l’on voit mille hommes debout près de leurs batteries, prêts à servir ces redoutables instruments de guerre, sans qu’il s’élève parmi eux un seul son qui puisse se faire entendre au-dessus du plus faible murmure de l’eau. Il est vrai que ce n’était pas un combat strictement naval que les Français allaient avoir à soutenir, mais ils y apportaient les habitudes et la discipline du service auquel ils appartenaient.