Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/390

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il entendit à peu de distance le battement d’une voile, et, se retournant, il vit la felouque faire une abattée, sa misaine déployée, et gouvernant déjà. On ne voyait personne sur le pont ; Ithuel, qui était au gouvernail, s’était courbé de manière à être caché par le plat-bord. Pintard fit alors couper ses amarres ; et le Feu-Follet recula vivement, comme un coursier effrayé. On n’eut plus besoin que de larguer les cargues, et la misaine tomba. Le léger bâtiment recevant la brise, qui arrivait alors en fortes risées, s’élança hors de la petite baie, et vira vent arrière, pivotant sur son talon. Deux ou trois canots essayèrent de le poursuivre, mais sans aucun espoir de l’atteindre. Winchester, qui avait alors le commandement de l’expédition, les rappela par un signal, disant que la capture du lougre devait être maintenant la tâche des bâtiments à voiles, et que, quant à eux, ils avaient assez de besogne à garder les prisonniers et à prendre soin des blessés.

Quittant un moment l’îlot aux ruines, nous suivrons les deux bâtiments dans leur tentative pour s’échapper. Pintard et ses compagnons n’abandonnèrent Raoul qu’à contre-cœur ; mais, à la manière dont ils le voyaient étendu sur le rocher, une main appuyée sur sa blessure, ils comprirent que cette blessure était mortelle. Comme lui, ils prenaient au destin du lougre le même intérêt qu’on prend à celui d’une maîtresse chérie, et les mots : « Sauvez mon Feu-Follet ! » retentissaient encore à leurs oreilles.

Dès que le lougre eut viré, on établit la grande voile, et il commença à fendre l’eau, sans laisser plus de traces de son sillage qu’auparavant. La route qu’il suivit pour sortir de la baie semblait croiser celle des bâtiments anglais. Ithuel n’imita point cette manœuvre. Il fit porter davantage du côté de Pestum, jugeant avec raison que le désir ardent qu’ils avaient de capturer le lougre les empêcherait de faire beaucoup d’attention aux mouvements de la felouque. Le propriétaire de cette felouque était pourtant encore à bord de la Terpsichore ; mais toutes les prières, toutes les remontrances qu’il fit pour qu’on poursuivît ce bâtiment et qu’on le reprît, furent inutiles. Le lieutenant qui commandait alors cette frégate, de même que les commandants des deux autres bâtiments, n’étaient occupés que d’une seule idée, la prise du Feu Follet. Personne à bord des deux frégates et de la corvette ne pouvait encore savoir ni la mort du commandant de l’expédition ni les détails du combat qui avait eu lieu au milieu des rochers, quoiqu’on pût en deviner le résultat en voyant le pavillon anglais flotter sur la batterie et les deux bâtiments cherchant à s’échapper.