Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/397

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C’était effectivement le lougre, ayant toujours ses voiles en ciseaux. Comme de raison, on n’a jamais pu savoir comment il était arrivé que les vigies de ce bâtiment n’eussent pas aperçu la frégate. Mais quand toutes les circonstances furent bien connues, on supposa que le sommeil et la fatigue avaient fermé leurs yeux, après une nuit pendant laquelle tout l’équipage, qui n’était composé que de vingt-cinq hommes, était resté sur le pont à travailler sans relâche à la manœuvre. Enfin, le temps s’éclaircissant un peu, on aperçut la frégate à bord du lougre, et ce n’était pas une minute trop tôt, car les deux bâtiments, en ce moment critique, n’étaient qu’à environ un demi-mille l’un de l’autre. Le Feu-Follet se trouvait dans la direction du bossoir du vent de la Proserpine. Il changea ses voiles en un clin d’œil, et alors ou le vit venir au vent, mais il perdit assez d’espace en faisant cette manœuvre pour se trouver exposé à recevoir le feu des deux canons de chasse de la frégate. Cuff donna sur-le-champ l’ordre de faire feu.

— Que diable a-t-il donc ? s’écria le capitaine ; il se dandine comme un mandarin de porcelaine, lui qui avait coutume d’être ferme comme une église. Que signifie cela, master !

Le master ne put le lui dire, mais il est probable que le lougre n’était pas assez lesté pour résister à un pareil temps, et qu’il n’eut pas le temps de diminuer de voiles. Il fit de fortes embardées sous les lames qui se soulevaient alors, et une bourrasque étant survenue, ses canons sous le vent furent complètement dans l’eau. Ce fut en ce moment que les deux canons de chasse de la Proserpine vomirent la flamme et la fumée. L’œil ne put suivre les boulets, et personne ne put savoir où ils avaient frappé. Deux autres coups venaient d’être tirés, quand il survint une rafale qui arrêta la chasse et interrompit le feu. Cet effort momentané du vent d’Afrique fut si terrible, que l’écoute du perroquet de fougue de la Proserpine vint à casser, et qu’il fallut carguer la grande voile pour ne pas compromettre la grande vergue ; mais peu après elle fut amarrée de nouveau, et le perroquet de fougue fut rétabli. Un rayon de soleil succéda, mais le lougre avait disparu.

Le soleil ne resta visible qu’une minute ; encore était-il un peu voilé ; mais pendant trois ou quatre minutes, la vue put s’étendre à quelques milles à la ronde. L’horizon se rétrécit ensuite ; mais pendant un quart d’heure il ne survint aucune rafale. À l’instant où on ne vit plus le lougre, la Proserpine portait le cap à une demi-aire de vent de l’endroit où l’on supposait qu’avait été le Feu-Follet ; quelques minutes après elle le dépassa, peut-être à une centaine de brasses