Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/406

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vois aucune raison pour refuser de le croire. — Mon oncle y croit fermement.

— Votre oncle, Ghita ! quoi ! Carlo Giuntotardi ? Lui qui semble ne jamais penser aux objets qui l’entourent, pourrait-il songer à des choses si éloignées et si sublimes ?

— Que vous le connaissez mal, Raoul ! c’est parce que son esprit est presque toujours occupé de pareilles idées, qu’il paraît si indifférent pour le monde et pour tout ce qu’il contient.

Raoul ne répondit rien ; les souffrances causées par sa blessure parurent se renouveler avec plus de force que jamais, et Ghita, avec la douce sensibilité d’une femme, ne songea plus qu’à lui prodiguer tous les petits soins dont elle était capable, pour tâcher de les adoucir ; après quoi, se mettant à genoux près de son lit, elle adressa au ciel de nouveau de ferventes prières pour le salut de son amant. Près d’une heure s’écoula de cette manière. Tout ce qui se trouvait sur le rocher dormait accablé de fatigue ; Ghita et le mourant étaient seuls éveillés.

— Ghita, dit enfin Raoul d’une voix faible, cette étoile fixe mes yeux sur elle ; — si c’est réellement un monde, une main toute-puissante doit l’avoir créé. Le hasard n’a jamais construit un vaisseau ; comment aurait-il pu créer un monde ? La pensée, l’esprit, l’intelligence, doivent avoir présidé à la formation de l’un comme de l’autre.

Depuis bien des mois, Ghita n’avait pas joui d’un pareil instant de bonheur. L’esprit de Raoul semblait enfin abjurer la fausse philosophie qui était alors si fort à la mode, et qui avait endurci un si bon naturel, et couvert de ténèbres une intelligence si active. Si ses idées entraient une fois dans la bonne voie, elle était pleine de confiance dans la droiture de ses vues et dans la miséricorde de Dieu.

— Raoul, dit-elle à demi-voix, Dieu est dans cette étoile comme il est avec nous sur ce rocher. Son esprit est partout. — Bénissez-le, — implorez sa merci, et vous serez heureux à jamais !

Raoul ne lui répondit pas ; ses yeux étaient toujours fixés sur la même étoile, et il semblait absorbé dans de profondes réflexions. Ghita ne voulut pas les interrompre, et, s’agenouillant de nouveau, elle se remit en prière. Les minutes succédèrent aux minutes, et aucun d’eux ne semblait disposé à parler. Enfin, Ghita redevint femme. Le moment était arrivé de faire prendre au blessé une potion ordonnée par le chirurgien ; elle alla la prendre pour la lui présenter. Les yeux semblaient encore attachés sur l’étoile ; mais les lèvres, au lieu d’être entr’ouvertes comme de coutume par un sourire d’amour,