Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/46

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vice-gouverneur n’étaient mariés, — nous n’osons nous risquer trop souvent dans la compagnie de veuves vives et fringantes comme vous, dont quelques années ont mûri la beauté, au lieu de la flétrir.

Ce compliment amena une réponse telle que devait la faire une coquette. Pendant ce temps, Andréa Barrofaldi, après s’être convaincu que le vin pourrait se boire impunément, se mit à examiner les marins humbles et silencieux qui étaient assis autour de l’autre table. Son but était de s’assurer jusqu’à quel point il risquait de se compromettre en paraissant dans une maison où sa visite ne pouvait être attribuée qu’à un seul motif. Il connaissait Tommaso comme étant le plus vieux pilote de la ville, et il avait aussi quelque légère connaissance de Daniel Bruno : mais les autres lui étaient inconnus.

— Informez-vous si nous sommes ici entre amis ; s’il ne s’y trouve que de dignes sujets du grand-duc, dit-il au podestat à demi-voix.

— Tonti, dit le magistrat aussi à voix basse, peux-tu répondre de tous tes compagnons ?

— Du premier au dernier, Signor, répondit le pilote. — Celui-ci est Daniel Bruno, dont le père a été tué dans un combat naval contre les Algériens, et dont la mère était fille d’un marin bien connu dans cette île, qui…

— Les détails sont inutiles, Tommaso, dit le vice-gouverneur ; il nous suffit de savoir que tu connais tous tes compagnons pour des hommes honnêtes et de fidèles serviteurs de leur souverain. — Vous savez probablement quel est le motif qui nous a amenés ici cette nuit, le signor Viti et moi ?

Ils se regardèrent les uns les autres, en hommes encore mal instruits, qui ont à répondre à une question importante, et qui cherchent à aider le travail de leur esprit par le témoignage de leurs sens. Enfin Daniel Bruno se chargea de prendre la parole.

— Nous croyons le savoir, Excellence ; notre compagnon Maso, que voici, nous a donné à entendre que le lougre qui est à l’ancre dans la baie n’est pas anglais, mais qu’il le soupçonne d’être un bâtiment français ou un pirate, ce qui — santa Maria nous protége ! — est à peu près la même chose, par le temps qui court.

— Pas tout à fait, l’ami, pas tout à fait, répondit le vice-gouverneur scrupuleux et judicieux ; car l’un serait proscrit en tout pays, et l’autre aurait à invoquer les droits qui protègent les serviteurs de toute nation civilisée. Il fut un temps où Sa Majesté impériale et son illustre frère le grand-duc, notre souverain, ne reconnaissaient pas le gouvernement républicain de la France pour un gouvernement légitime ; mais la fortune de la guerre ayant dissipé ses scrupules,