Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il n’arrivait à ses oreilles qu’une masse d’invectives incohérentes dont il ne put tirer rien d’utile, et cette scène lui devenant désagréable, il résolut d’y mettre fin. Il profita donc d’un moment où Ithuel se tut un instant pour reprendre haleine, et il lui dit :

— Signor, tout cela peut être vrai ; mais sortant de la bouche d’un homme qui sert les Anglais, pour entrer dans l’oreille d’un serviteur de leur allié le grand-duc de Toscane, de pareils discours sont aussi extraordinaires que peu convenables. Nous parlerons donc d’autre chose. Le lougre à bord duquel vous servez est sans contredit anglais, malgré tout ce que vous nous dites de cette nation ?

— Oui, répondit Ithuel avec un sourire caustique, et c’est un joli bâtiment. Oui, il est anglais, mais ce n’est pas sa faute, et il faut souffrir ce qu’on ne peut empêcher. C’est un lougre de Guernesey, et il faut voir comme il galope quand il s’éveille et qu’il a mis ses bottes !

— Ces marins ont un langage qui leur est propre, dit Barrofaldi au podestat, en souriant comme en considération des habitudes nautiques d’Ithuel. L’idée d’un navire mettant ses bottes vous semble ridicule ainsi qu’à moi, mais l’imagination des marins emploie mille images en parlant de leurs bâtiments. Il est curieux de les entendre converser, voisin ; et depuis que je demeure sur cette île, j’ai souvent songé à faire un recueil de ces images, pour en orner le genre de littérature qui appartient à leur profession. L’idée d’un lougre mettant ses bottes a quelque chose d’héroïque.

Vito Viti, quoique Italien et portant un nom si musical, n’avait rien de poétique dans l’imagination. Il prenait tout dans un sens littéral et ne s’occupait que des faits. L’idée d’un lougre portant des bottes n’offrait donc à son esprit aucune beauté particulière ; et quoique habitué à céder en tout aux connaissances supérieures et à l’érudition d’Andréa Barrofaldi, il eut le courage, en cette occasion, de faire une observation contre la possibilité de cette circonstance.

— Signor vice-gouverneur, dit-il, tout ce qui reluit n’est par or. De grands mots couvrent souvent de pauvres pensées, et je prends ceci comme un exemple de ce que je veux dire. J’ai vécu longtemps à Porto-Ferrajo, car il y a maintenant cinquante ans que j’y demeure, vu que j’y suis né et que je ne suis sorti de cette île que quatre fois dans toute ma vie. Eh bien, malgré cela, je n’ai jamais vu dans ce port un seul bâtiment qui portât des bottes ou même des souliers.