Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/79

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manquerait pas d’accompagner sir Brown dans la visite qu’il s’attendait à recevoir du dernier dans le cours d’une heure ou deux. La foule commença alors à se disperser, et Raoul fut bientôt abandonné à ses réflexions qui, en ce moment, n’étaient rien moins qu’agréables.

La ville de Porto-Ferrajo est tellement séparée de la mer par le rocher contre lequel elle est construite ; par ses fortifications, et, par la construction même de son petit port, que l’approche d’un bâtiment est invisible à tous ses habitants, à moins qu’ils ne veuillent monter sur les hauteurs qui forment une étroite promenade, comme nous l’avons déjà dit. Il s’y trouvait donc encore beaucoup de curieux, et Raoul se frayait un chemin à travers ces oisifs, ayant son bonnet de mer, et une sorte d’élégant uniforme naval de son invention, qu’il portait avec quelque affectation, car il connaissait parfaitement les avantages personnels qu’il possédait. Ses yeux erraient sans cesse d’une jolie figure à une autre, sans s’arrêter sur aucune, car Ghita était le seul objet qu’il cherchât, et la véritable cause qui l’avait mis ainsi que son bâtiment et son équipage dans la situation critique où il se trouvait. De cette manière, tantôt songeant à celle qu’il cherchait, tantôt réfléchissant à sa situation dans un port ennemi, il arriva au bout de la promenade, et il savait à peine s’il devait retourner sur ses pas, ou descendre dans la ville pour aller rejoindre son canot, quand il entendit une voix douce prononcer son nom à quelques pieds derrière lui. Son cœur reconnut cette voix à l’instant, et, se retournant, il vit Ghita.

— Saluez-moi froidement et en étranger, lui dit-elle à la hâte, respirant à peine, et ayez l’air de me montrer différentes rues dans la ville, comme pour me demander votre chemin. C’est ici que nous nous sommes vus la nuit dernière, mais songez qu’il fait grand jour à présent.

Raoul fit ce qu’elle désirait, et tout spectateur hors de la portée de leur voix aurait pu y être trompé et croire leur rencontre accidentelle, quoiqu’il lui parlât le langage de l’amour et de l’admiration.

— Assez, Raoul, assez, lui dit-elle, baissant les yeux en rougissant, quoique ses traits doux et sereins n’offrissent aucun symptôme de mécontentement ; — dans un autre moment je pourrais vous écouter. Savez-vous que vous êtes dans une position bien plus dangereuse qu’hier soir ! Hier vous n’aviez rien à redouter que le port ; aujourd’hui vous avez à craindre le port et ce bâtiment étranger, qui est anglais, m’a-t-on dit.