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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/103

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dit-elle, laissons là le boulet et parlons d’autre chose. Rupert rougit ; car il avait essuyé plus d’une fois, dans son enfance, de pareils accès de franchise de sa sœur ; mais il ne laissa point percer le dépit qu’il ne pouvait manquer de ressentir.

S’il faut dire la vérité, mon attachement pour Rupert avait reçu une assez forte atteinte. Il avait montré tant d’égoïsme pendant le voyage, avait escamoté si habilement tant de corvées pour les laisser retomber sur le pauvre Neb, et avait été si peu, dans la pratique, le marin qu’il dépeignait si bien avec sa langue, que je ne pouvais pas fermer plus longtemps les yeux sur quelques-uns des défauts de son caractère. Je l’aimais encore, mais par habitude, et peut-être parce qu’il était le fils de mon tuteur et le frère de Lucie ; et puis je ne pouvais me dissimuler que Rupert n’était rien moins que franc. Il commentait, il exagérait, il embellissait tout, s’il n’allait pas jusqu’à inventer. Je n’étais pas assez âgé pour savoir que la plupart des opinions qui sont en circulation dans le monde ne sont que des vérités plus ou moins tronquées ; que rien n’est plus rare qu’un récit exact et sans ornements ; que les vérités et les mensonges voyagent de compagnie, tellement confondus, comme dit Pope dans son Temple de la renommée, que jamais l’œil d’un mortel ne peut les distinguer.

Dans son récit de notre voyage, Rupert avait laissé de fausses impressions dans l’esprit de ses auditeurs sur plus de cinquante points. Il avait fait mousser nos deux petites escarmouches beaucoup plus que la vérité ne le permettait, et il avait négligé de rendre justice à Neb dans l’une et l’autre affaire. Il louait dans la conduite du capitaine Robbins précisément ce qui était blâmable par rapport à la perte du John, et il critiquait des mesures qui ne méritaient que des éloges. Je savais que Rupert n’était pas marin ; et j’étais assez convaincu alors qu’il ne le deviendrait jamais ; mais je ne pouvais expliquer toutes ses inexactitudes en les imputant à l’ignorance. La manière dont il savait se poser en toute occasion comme l’acteur principal dénotait tant d’adresse en même temps que, tout en sentant qu’il trompait, je n’aurais trop su comment le contredire. Il s’y prenait si ingénieusement pour présenter les faits et les commenter, que je me surpris plus d’une fois à croire ce qu’en réalité je savais être faux.

Dès que l’histoire de nos exploits fut terminée, nous eûmes tout le loisir d’observer les changements qu’une année avait opérés dans nos personnes. Rupert, comme le plus âgé, était le moins changé ; il était arrivé de très-bonne heure à sa croissance ; seulement il avait pris un peu de carrure. Il avait laissé croître à bord une petite paire de moustaches, qui lui donnait un air un peu plus mâle, ce qui ne