Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/131

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La Crisis fit route au plus près, tandis que sa prise cinglait vers New-York. Miles Wallingford était devenu un personnage beaucoup plus important qu’il n’était quelques heures auparavant. Nous mîmes les prisonniers dans la cale, en les faisant garder avec soin, et nous dérivâmes au nord-ouest, afin d’éviter les croiseurs français qui pourraient courir des bordées le long de leurs côtes. Le capitaine Williams semblait satisfait de la part de gloire qu’il avait acquise, et il ne cherchait pas l’occasion de cueillir de nouveaux lauriers. Quant à Marbre, jamais homme ne grandit plus dans sa propre estime. Sans doute les résultats de cette journée lui faisaient beaucoup d’honneur ; mais, depuis ce moment, malheur à celui qui se fût permis de n’être pas de son opinion sur telle ou telle voile qui pouvait se montrer à l’horizon !

Le lendemain du jour où nous nous séparâmes de notre prise, une voile fut signalée à l’ouest, et, le vent ayant changé, nous carguâmes la grande voile pour l’examiner. Bientôt il fut évident que c’était un bâtiment américain ; mais nous eûmes beau hisser notre pavillon, le brig ne manifestait aucune disposition à nous parler. Le capitaine Williams se décida à lui faire la chasse, d’autant plus que le brig chercha à nous échapper en passant en tête, et que cela ne nous éloignait pas beaucoup de notre route. À quatre heures de l’après-midi, nous arrivâmes assez près pour lâcher une bordée contre ses mâts afin de lui rendre la parole. Alors le brig mit en panne et nous permit de l’aborder. C’était la prise de la Dame de Nantes, et nous en prîmes immédiatement possession. Comme ce bâtiment était chargé de farine, et que sa destination était Londres, j’en fus chargé, et on me donna pour second un jeune homme de mon âge, nommé Roger Talcott, et six hommes de mon équipage. Il va sans dire que tous les Français, à l’exception du cuisinier, passèrent sur la Crisis. Neb, à force de prières et sur mes vives instances, obtint de m’accompagner, quoique Marbre eût beaucoup de peine à se priver de ses services.

C’était mon premier commandement, et je n’en étais pas peu fier, quoique je mourusse de peur de faire quelque sottise. Mes instructions étaient de me diriger vers le cap Lizard, et de ranger la côte d’Angleterre. Le capitaine Williams s’attendait à recevoir l’ordre d’aller ou même port que l’Amanda, — c’était le nom du brig, — et il espérait nous rejoindre, après qu’il aurait relâché à Falmoulh pour y prendre ses instructions. Comme la Crisis pouvait filer quatre nœuds sur l’Amanda trois, avant le coucher du soleil nous avions perdu de vue notre ancien bâtiment.