Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/145

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plus qu’à tout moment les Anglais pouvaient être pressés. Nous eûmes la main heureuse ; le hasard nous fit rencontrer des matelots de premier choix qui, pris à un bâtiment américain par un croiseur anglais, venaient d’obtenir leur congé. La Crisis avait fait parler d’elle, et ils furent ravis de passer sur son bord. L’histoire de la prise de la Dame de Nantes, copiée sur le livre de loch, et légèrement embellie, avait paru dans les journaux par les soins du consignataire. Rien alors ne mettait plus les Anglais en bonne humeur que d’apprendre quelques revers des Français. À aucune époque depuis 1775, les Américains n’avaient eu si bonne réputation en Angleterre ; par miracle, les deux nations combattaient du même côté. Peu de temps après notre départ de Londres, on vota à Lloyd une adresse de félicitations à un commandant américain pour avoir capturé une frégate française. Pourquoi ne verrait-on pas des flottes anglaise et américaine agir un jour de concert ? Personne ne peut lire les secrets de l’avenir, et j’ai vécu assez longtemps pour savoir que personne ne peut prévoir quels amis il conservera, pus plus qu’une nation ne saurait deviner quels peuples deviendront ses ennemis.

Le chargement de la Crisis ne s’opéra que lentement, ce qui nous laissa du loisir ; notre capitaine, mis en bonne humeur par le succès de notre voyage, se montrait très-facile. Cette disposition fut augmentée sans doute par la circonstance qu’un bâtiment arrivé en très-peu de temps de New-York, lui donna des nouvelles de notre prise, qu’il avait rencontrée en mer, au moment où elle n’avait plus que quelque cent milles à faire par la brise la plus favorable. C’était avoir la presque certitude morale que la Dame de Nantes était arrivée saine et sauve ; car aucun bâtiment français n’aurait aimé à s’aventurer sur cette côte éloignée, qui était alors protégée par nos croiseurs.

Ce fut pour moi un grand amusement de montrer à Marbre les curiosités de Londres. Nous commençâmes par les animaux féroces de la Tour, à tout seigneur tout honneur ; mais notre lieutenant n’en fut pas émerveillé. Il avait été trop souvent en Orient, disait-il, pour admirer une pareille ménagerie, bonne tout au plus pour des badauds. La Tour ne fut pas plus heureuse auprès de lui ; il avait vu en Amérique une tour où l’on fabriquait des balles, qui l’enfonçait et pour la hauteur, et, suivant lui, pour la beauté. Saint-Paul l’étonna un peu ; il avoua franchement qu’il n’y avait pas d’église pareille à Kennebunk, quoiqu’il pensât que la Trinité à New-York pouvait bien être mise à côté.

— Comment ! à côté ? répétai-je en riant ; c’est dedans que vous voulez dire, avec son clocher et tout le reste, et il resterait en-