Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/155

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j’espère qu’il vivra assez pour persuader à tout le monde qu’il a raison !

Marbre et moi, nous étions ainsi à causer sur le gaillard d’avant, les yeux tournés vers l’ouest, car il eût été difficile de rien voir dans toute autre direction, quand il s’interrompit pour s’écrier : La barre au vent, tout ! — Brasse au vent derrière, mes garçons, — cargue le foc d’artimon ! — Cet ordre mit tout l’équipage en mouvement, le capitaine et le troisième officier furent sur le pont en une minute. Le navire fit une abattée, dès que nous eûmes hâlé bas le foc d’artimon, la voile du grand hunier venant en ralingue.

La vitesse augmentant à mesure que nous avions le vent plus de l’arrière, le mouvement d’arrivée se continua sous l’impulsion de la barre, et le bâtiment partit comme une toupie. Les écoutes du petit foc étaient bordées avec soin, et cependant les voiles firent entendre un bruit semblable à une détonation d’arme à feu, lorsqu’elles commencèrent à prendre sur l’autre bord. Le navire fut amuré à tribord, en recevant des secousses terribles, qui firent trembler toutes les poulies et toutes les chevilles du bâtiment. Tout réussit néanmoins ; et la Crisis commença à s’éloigner de la Terre de Feu, à coup sûr ; mais où allait-elle au juste ? c’est ce que personne n’aurait su dire. Elle avait le cap presque à l’est, le vent variant entre sud quart sud-est et sud-est quart sud. Dans cette direction, je ne doutais pas qu’elle ne dût doubler les îles Falkland, bien que je fusse persuadé que nous en étions encore à une grande distance. Nous avions du temps devant nous pour profiter d’un changement de vent.

Dès que le bâtiment eut repris son équilibre, en présentant son autre flanc au vent, le capitaine Williams eut une conversation sérieuse avec le second, pour lui demander l’explication de la manœuvre qu’il avait commencée. Marbre prétendait avoir aperçu la terre en face du navire, — comme vous savez que j’aperçus la Dame de Nantes, capitaine Williams, dit-il ; et, voyant qu’il n’y avait pas de temps à perdre, j’ai fait mettre la barre au vent pour éviter la côte. Je me défiais de cette explication, au moment même où Marbre la donnait, et avec raison, ainsi qu’il me l’avoua plus tard ; mais le capitaine fut satisfait, ou du moins jugea à propos de le paraître. D’après les calculs que je fis, je pense que nous étions à quinze ou vingt lieues de la terre, quand nous virâmes de bord ; mais Marbre, quand il me fit ses confidences, me dit : — J’avais bien assez de Madagascar, Miles, sans aller nous casser le nez sur cette côte effroyable, et il peut y avoir des courants infernaux de ce côté du cap de Bonne-Espérance, aussi bien que de l’autre. Nous avons eu assez de rafales