Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/157

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ne doute pas que si mon pied avait glissé sur les traversins et que je fusse tombé, mon corps eût été frapper l’eau à la distance de trente ou quarante verges au-delà du bâtiment. Un épissoir eût pu tomber de l’une des hunes, sans que personne sur le pont courût risque d’en être atteint.

Quand le jour reparut, une lueur triste et pâle se répandit sur toute la surface des flots ; mais on ne pouvait distinguer que l’Océan et le navire. Les oiseaux de mer eux-mêmes semblaient s’être réfugiés dans les cavernes des côtes voisines ; pas un seul ne reparut avec le jour. L’air était chargé d’écume, et l’œil pouvait à peine pénétrer jusqu’à un demi-mille à travers cette humide atmosphère. Tout le monde sur le pont fut exact à l’appel, comme de raison, personne n’ayant envie de dormir par un pareil temps. Quant à nous autres officiers, nous nous réunîmes sur le gaillard d’avant, lieu d’où nous devions mieux découvrir le danger, si c’était la terre que nous avions à craindre. Il n’est pas facile de faire comprendre aux lecteurs qui ne sont pas marins les embarras de notre situation. Nous n’avions pas fait d’observations depuis plusieurs jours, et nous étions réduits à nous diriger d’après la table de loch, dans une partie de l’Océan où les courants ont la force d’une cataracte, au milieu d’un ouragan violent. Même alors que ses joues étaient à demi submergées, sans que le moindre lambeau de voile fût déployé, la Crisis avançait en filant trois ou quatre nœuds, lofant et serrant le vent d’aussi près que si elle avait porté toutes ses voiles d’arrière. Marbre pensait que sur une pareille mer, malgré tous nos efforts, nous serions encore entraînés, avant la fin de cette courte journée, de trente à quarante milles vers la côte si redoutée. — Ce n’est pas tout, Miles, ajouta-t-il en me prenant à part, je n’aime pas plus cet infernal courant que celui que nous avons eu de l’autre côté de l’étang, quand nous brisâmes notre étambot contre les rochers de Madagascar. Vous ne voyez jamais une mer aussi unie que celle-ci, si ce n’est quand le vent et le courant voyagent dans la même direction. — Je ne répondis rien, mais nous étions tous quatre, le capitaine et ses trois officiers, occupés à jeter un regard inquiet sur la brume qui s’étendait vis-à-vis de nous sous le vent, comme si elle nous eût caché notre patrie. Après dix minutes de silence, je regardais encore dans la même direction, quand tout à coup, par une sorte d’effet magique, le rideau fut soulevé, et je crus voir une longue plage avec une effroyable quantité de bas fonds qui s’étendaient à une distance considérable. La plage ne paraissait pas éloignée de plus d’un demi-mille, et le navire l’élongeait avec une vitesse de six à huit milles par heure, à en juger par les