Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/159

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ramena un peu de sérénité dans l’atmosphère. À dix heures, nous pûmes voir à une lieue de distance, bien que la violence du vent ne fût pas ralentie d’une manière sensible. Quant à la mer, il n’y en avait pas, ou presque pas, l’eau étant aussi unie que la surface d’une rivière.

Le jour tombait, et nous commencions à être plus inquiets d’une si étrange situation. Tout notre espoir était de trouver quelque bon mouillage ; mais, pour l’atteindre, il fallait nécessairement trouver un endroit sous le vent. Le navire, en avançant, continuait à avoir la terre en vue à tribord, mais elle était sous le vent, au lieu d’être au vent ; cette dernière position eût été indispensable pour que nos ancres et nos câbles pussent tenir contre une pareille tempête. Peu à peu aussi nous nous écartions de cette côte qui se dirigeait vers le nord, en nous donnant plus de marge. Ce qui nous inquiétait le plus, c’était de nous sentir entraînés par une forte marée. Il n’y avait qu’un moyen d’apprécier notre situation : si nous étions entrés dans une baie, le courant eût été moins fort ; l’eau n’aurait pu avoir un mouvement aussi rapide, si elle ne se dirigeait pas vers quelque issue. Ce n’était pas seulement le mouvement d’une mer houleuse dans un endroit resserré ; le courant filait avec la rapidité de la flèche, comme s’il traversait un détroit. Nous eûmes une preuve incontestable de ce fait vers onze heures. Nous avions alors la terre juste en face : ce qui amena une véritable panique dans l’équipage. Mais une seconde inspection nous rassura ; ce n’était qu’un rocher qui formait une île de six à huit acres d’étendue. Nous l’évitâmes, comme de raison, tout en examinant avec soin si nous pouvions trouver un mouillage convenable à proximité. Mais l’île était trop basse et trop petite pour pouvoir nous abriter, et le fond ne nous parut pas non plus bien sûr. Nous renonçâmes donc à jeter l’ancre en cet endroit, mais nous pouvions maintenant commencer à nous reconnaître. Nous fîmes porter un peu pour passer à distance de l’île, et l’ouragan emporta le navire avec une vitesse de sept à huit nœuds. Nous allâmes toutefois bien plus rapidement encore, la marée nous donnant un énorme surcroît de vitesse. Le capitaine Williams pensait même que nous devions filer quinze nœuds en doublant ce rocher.

Il était midi, et il n’y avait aucun ralentissement dans la tempête, aucun changement dans le courant, aucun moyen de rebrousser chemin, aucun espoir de pouvoir nous arrêter ; nous étions entraînés en avant, comme poussés par une fatalité irrésistible ; le seul changement qui s’opéra peu à peu, ce fut le retour de la sérénité de l’atmosphère, à mesure qu’en quittant la pleine mer, nous nous