Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/190

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les deux canots qui passaient en ce moment, avaient été abattus sur place, comme de jeunes taureaux. Trois furent tués du coup, et les blessures des autres paraissaient devoir être mortelles. Ma vie eût été sacrifiée à l’instant même, sans l’intervention de l’Échalas, qui ordonna à mes agresseurs de se retirer, d’un ton d’autorité sévère qui produisit immédiatement son effet. Il était évident qu’un traitement tout particulier m’était réservé.

Tous ceux qui le pouvaient se précipitèrent alors dans les canots qui restaient et dans la yole du bâtiment, afin de recueillir les morts et les blessés, dès qu’on sut le malheur qui était arrivé. Je les observais de la balustrade, et je reconnus bientôt que Marbre en faisait autant des fenêtres de la chambre. Mais les sauvages se gardèrent de s’exposer à un feu qui leur avait été si fatal, et ils furent obligés d’attendre que le navire eût été assez de l’avant pour leur permettre de secourir leurs amis, sans mettre en péril leurs propres vies. Comme cette manœuvre demandait à la fois du temps et de l’espace, le bâtiment fut laissé sans un seul canot ou embarcation d’aucune sorte, et avec la moitié seulement de ses ennemis à bord. Ceux qui restaient, faute d’autre ennemi à attaquer, déchargèrent leur colère sur la Crisis, s’épuisant en efforts frénétiques pour appuyer sur la remorque. Mais le résultat de tout cela fut que, donnant en même temps beaucoup de marge au navire, ils finirent par rompre la corde.

J’étais appuyé sur la roue du gouvernail, ayant l’Échalas près de moi, quand cet accident arriva. Le mouvement de reflux était encore très-sensible, et le bâtiment entrait justement dans la passe étroite située entre l’île et la pointe qui terminait la baie, continuant naturellement à se diriger vers l’arbre auquel la remorque avait été attachée. Un mouvement plus instinctif que raisonné me détermina alors à faire éviter le navire avec la barre de manière à lui faire franchir directement le passage, au lieu de le laisser se briser contre les rochers. Je n’avais en agissant ainsi aucun espoir, ni aucun autre motif que la vive répugnance que j’éprouvais à voir couler à fond un aussi bon navire. Heureusement le Plongeur était dans un canot, et il n’était pas facile de suivre la Crisis, sous le feu des fenêtres de la chambre, lors même qu’il eût compris la position et qu’il se fût mis à sa poursuite. Mais, comme les autres sauvages des canots, il était occupé de ses amis blessés, qui furent tous transportés du côté de la crique. Je fus donc maître des mouvements du navire pendant cinq minutes ; pendant ce temps il avait franchi la passe, et il entrait en pleine mer.

La situation était nouvelle et jusqu’à un certain point embarras-