Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/196

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— Eh bien ! Miles, qu’est-ce ? demanda-t-il, pourquoi ce coup de canon, et qui l’a tiré ?

— Tout va bien, monsieur Marbre, c’est moi qui l’ai tiré pour éloigner les canots, et il a produit l’effet désiré.

— Oui, j’avais la tête hors de la fenêtre dans ce moment, car je pensais que le bâtiment virait vent arrière, et qu’en désespoir de cause nous retournions dans le port. Mais comment diable, mon garçon, nous sommes à plus d’une demi-lieue de la terre ! L’Échalas le souffrira-t-il encore longtemps ?

J’appris alors à Marbre où nous en étions sur le pont, la voilure que nous avions, le nombre de sauvages qui étaient à bord, et leurs idées sur la manière de faire tourner le bâtiment. Il n’est pas facile de dire qui écoutait avec le plus d’attention, de Marbre ou de l’Échalas. Celui-ci me faisait continuellement signe de tourner le bâtiment vers la côte, car alors nous avions de nouveau le vent par le travers, et nous gouvernions en droite ligne. Il était nécessaire, pour plus d’une raison, de chercher un remède immédiat au danger qui allait m’assaillir de nouveau. Non-seulement il fallait apaiser l’Échalas et ses compagnons, mais le navire, en gagnant au large, commençait à sentir les lames de fond, et la mâture n’était rien moins que solide. Le grand mât de hune n’était guindé qu’à moitié, et il commençait à se balancer dans le chouquet d’une manière que je n’aimais pas. Il est vrai qu’il n’y avait pas encore grand danger, mais le vent s’élevait, et ce qui était à faire devait être fait sur-le-champ. Cependant je ne fus pas fâché de remarquer que cinq ou six sauvages, et l’Échalas était du nombre, commençaient à ressentir les atteintes du mal de mer. J’aurais donné Clawbonny dans ce moment pour une mer courte qui les aurait tous secoués d’importance.

Je m’efforçai alors de faire comprendre à l’Échalas la nécessité d’avoir de l’aide d’en bas, tant pour faire tourner le bâtiment, que pour mettre en place les mâts et les vergues. Le vieux coquin branla la tête, et prit un air grave. Je vis qu’il n’était pas encore assez malade pour ne plus tenir à la vie. Cependant, après quelque temps, il prononça les noms de Neb et d’Yo, les deux nègres ayant attiré l’attention des sauvages ; le cuisinier était le second. Je compris qu’il souffrirait qu’ils vinssent me prêter secours, pourvu qu’il fût certain de n’en avoir rien à craindre. Désarmés, que pouvaient-ils faire contre vingt-cinq hommes qui avaient des armes ? Il s’imaginait aussi sans doute qu’au besoin les nègres seraient pour lui des alliés plutôt que des ennemis. Pour ce qui était de Neb, il faisait une cruelle méprise ; et Joé lui-même, — ou Yo, comme il l’appelait, — avait l’honneur