Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/217

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était venue donner contre une autre partie du récif même qui avait failli nous être si fatal. C’étaient des rocs de corail, et il n’y avait pas deux heures qu’elle était échouée que déjà ils se montraient à travers sa cale. Les sucres qui avaient été pris pour lest à l’île de France furent bientôt d’une valeur plus que douteuse ; mais le temps continuant à être favorable, le capitaine Le Compte parvint, à l’aide de ses canots, à transporter dans l’île tous les autres objets de prix, et il se mit à dépecer le bâtiment, afin de construire avec les matériaux une embarcation qui pût le conduire, lui et son équipage, sur quelque terre civilisée. Comme il avait beaucoup d’outils, et près de soixante hommes, l’ouvrage marcha vite, et un schooner d’environ quatre-vingt-dix tonneaux était assez avancé pour qu’on pût fixer le jour où il pourrait être lancé à la mer. Tel était l’état des choses quand, une belle nuit, nous arrivâmes de la manière que j’ai racontée. Les Français faisaient bonne garde, et nous n’étions encore qu’un point imperceptible à l’horizon, qu’ils nous avaient déjà vus, tandis que les arbres rabougris de l’île avaient échappé à notre vigilance. À l’aide d’une longue-vue de nuit, tous nos mouvements furent observés, et on fut au moment d’envoyer un canot pour nous avertir du danger que nous courions ; mais le capitaine Le Compte réfléchit qu’il y avait vingt à parier contre un que nous étions des ennemis, et il préféra rester caché pour attendre le résultat. Dès que nous eûmes jeté l’ancre dans le bassin, et que le silence régna à bord, il arma son canot et vint, avec des avirons garnis aux dames de manière à éviter tout bruit, pousser une reconnaissance jusque sous nos bossoirs. Voyant que tout était calme, il se hasarda sur les porte-haubans, puis enfin sur le pont, suivi de trois de ses hommes ; il y trouva Harris qui ronflait le dos appuyé contre un affût de canon, et s’assura aussitôt de sa personne. Il ne restait plus qu’à fermer le dôme de l’échelle et les portes des chambres, pour que nous fussions tous prisonniers en bas. L’embarcation alla chercher du renfort, et pendant que nous dormions paisiblement, le navire avait changé de maîtres.

J’appris la plus grande partie de ces détails dans des conversations subséquentes avec les Français. Mes yeux me firent aussi pénétrer bien des secrets. Quand le jour parut, je reconnus que l’île était telle que je me l’étais figurée ; seulement elle était moins grande qu’elle ne me l’avait paru au clair de lune, mais l’aspect général était le même. Le bassin dans lequel le bâtiment était à l’ancre pouvait couvrir une étendue de cent cinquante acres, la ceinture de terre qui l’entourait variant en largeur d’un quart de mille à trois milles. La plus grande partie de l’île était boisée, quoique découverte ; elle était