Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/221

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En levant les yeux, je vis deux petites tentes à cinquante pas de nous. Elles étaient dans une situation charmante, au milieu d’un bouquet d’arbres assez épais, et près d’une des sources les plus délicieusement limpides que j’aie jamais vues. Les tentes étaient faites en toile neuve, et avaient été construites avec beaucoup de soin et de dextérité. Celle dont nous approchions était recouverte de tapis, et avait tous les dehors de l’habitation la plus commode. M. Le Compte, qui était réellement un bel homme de moins de quarante ans, prit son air le plus aimable en approchant de la porte ; et il toussa une ou deux fois, le plus respectueusement qu’il put, comme pour annoncer sa présence. À l’instant même une servante parut pour le recevoir. Dès que je jetai les yeux sur cette femme, il me sembla que ses traits m’étaient familiers, bien que je ne pusse me rappeler ni où, ni quand je l’avais vue. La rencontre était si étrange que j’y réfléchissais encore, quand tout à coup je me trouvai dans la tente, en présence d’Émilie Merton et de son père !

Nous nous reconnûmes du premier coup d’œil ; et, au grand étonnement de M. Le Compte, je reçus l’accueil le plus cordial comme une vieille connaissance. Notre connaissance n’était pas très-vieille, il est vrai ; mais dans une île inhabitée de la mer du Sud, on est heureux de trouver une figure qu’on a déjà vue quelque part. Émilie n’avait plus ces belles couleurs qu’elle avait emportées de Londres, il y avait un an ; mais elle était toujours fraîche et jolie. Elle était en deuil ainsi que son père ; et, ne voyant pas paraître sa mère, j’en devinai la cause. Mistress Merton était d’une faible santé quand je l’avais connue, mais je ne l’aurais pas crue menacée d’une fin aussi prochaine.

Je crus remarquer que le capitaine Le Compte était mécontent de l’accueil qui m’était fait ; cependant ses bonnes manières ne se démentirent pas, et il se leva en disant qu’il me laissait avec mes amis pour ne pas gêner nos explications mutuelles, et qu’il allait donner un coup d’œil à quelques détails du service. Lorsqu’il se retira, je n’aimai pas à le voir s’approcher d’Émilie et lui baiser la main. Il le fit avec respect, et même avec une certaine grâce ; mais il y avait dans sa manière une intention sur laquelle on ne pouvait se méprendre. Émilie rougit en lui disant adieu, et lorsque je me retournai vers elle, malgré mon dépit involontaire, je ne pus m’empêcher de sourire.

— Jamais, monsieur Wallingford, jamais ! dit Émilie avec force, dès que le capitaine fut dehors, répondant sans doute à la pensée qu’elle lisait dans mes yeux ; — nous sommes à sa merci, et nous devons le ménager ; mais jamais je n’épouserai un étranger.