Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/228

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fitant de cette circonstance, M. Le Compte en avait doublé son schooner dont, du reste, toutes les parties avaient été soignées minutieusement. Il voulait sans doute étonner ses amis de Marseille, en leur montrant ce que des marins habiles, jetés par un naufrage sur une île de la mer Pacifique, pouvaient faire en cas de besoin ; et puis il trouvait agréable de prolonger son séjour dans ces parages, mangeant des noix de coco toutes fraîches et d’excellente soupe à la tortue, tout en faisant la cour à Émilie Merton. Les charmes de la petite Pauline devaient être attribués en grande partie à ceux de la jeune personne.

Dès que tout le monde fut présent, M. Le Compte se plaça sur l’avant du schooner, puis faisant un profond salut à Émilie, comme pour lui demander la permission, il donna le signal. On leva toutes les accores, on fit sauter la clé de l’arrière, et le petit esquif glissa dans l’eau si légèrement, qu’on ne put douter qu’il ne fût excellent voilier. Dès qu’il fut à flot, M. Le Compte lança une bouteille contre la barre du gouvernail, et cria d’une voix éclatante : Succès à la belle Émilie !

Je me tournai du côté de miss Merton, et je vis à sa rougeur qu’elle comprenait le français. À la manière dont elle pinça sa jolie petite lèvre, il était évident que le compliment n’était pas très goûté.

Quelques minutes après, le capitaine mit pied à terre, et, dans un discours étudié, il nous fit la remise du schooner. Nous ne devions pas, nous dit-il, nous regarder comme prisonniers, et il n’était nullement porté à s’enorgueillir de sa victoire.

— Nous nous séparerons bons amis, ajouta-t-il en finissant ; mais si nous nous rencontrons jamais, et que nos deux républiques soient encore en guerre, chacun alors combattra pour son pavillon.

Cette phrase à effet termina dignement la cérémonie ; aussitôt après les Mertons s’embarquèrent dans le canot avec leurs domestiques. Je pris congé d’eux sur la plage, et je crus remarquer — peut-être fut-ce une illusion de ma vanité — qu’Émilie éprouvait quelque peine à partir. — Messieurs, nous dit le major, notre rencontre ici a été trop providentielle pour que nous ne nous revoyions pas quelque jour. Adieu jusque-là.

Les Français eurent bientôt achevé leurs dernières dispositions. Quand le capitaine Le Compte prit congé de nous, je ne pus m’empêcher de le remercier de toutes ses attentions. Il avait certainement montré une grande générosité à notre égard, quoique je persiste à croire que la précipitation de son départ, qui nous fit hériter d’une foule d’objets qu’il n’eut pas le temps d’emporter, fut causée