Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/238

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nous étions et ce que nous voulions ; — peut-être serait-il plus exact de dire ce que nous avions. Je reconnus l’homme du premier coup d’œil, car je lui avais déjà vendu des marchandises. Quelques mots, moitié anglais, moitié espagnols, nous suffirent pour renouer connaissance ; je lui fis entendre que j’étais à la recherche de mon bâtiment, dont j’avais été séparé pour raisons de service. Après avoir longtemps tourné autour de moi pour découvrir ce qui en était, il finit par m’apprendre qu’un bâtiment s’était abrité dans l’après-midi même derrière une île qui n’était qu’à dix milles de distance au sud ; qu’il l’avait vu, et qu’il aurait supposé que c’était son ancienne connaissance, la Crisis, sans le pavillon français qui flottait à la corne.

Ces renseignements me suffisaient, et je m’informai d’un pilote. Un des bateliers offrit de m’en servir. Comme je craignais qu’on n’eût de mes nouvelles à bord de la Crisis par quelque moyen semblable à celui que j’avais employé, je ne perdis pas de temps, et à dix heures nous faisions route. À minuit, j’entrais dans la passe qui séparait l’île du continent. Je montai alors dans un canot pour faire une reconnaissance. Je trouvai la Crisis à l’ancre sous un promontoire élevé. Tout y semblait tranquille ; mais je savais qu’un bâtiment qui avait toujours à craindre les gardes-côtes, et dont le salut dépendait de la rapidité de ses mouvements, devait faire bonne garde. J’examinai donc avec le plus grand soin et en prenant toutes les précautions possibles la position du bâtiment ; je montai sur le promontoire, et ce ne fut qu’après avoir complété mes observations que je retournai à bord du schooner, vers deux heures du matin.

Il me fallut peu de temps pour le rejoindre. Mon équipage impatient n’avait pu tenir en place, et le schooner était déjà près du promontoire, tous les hommes sur le pont et les armes à la main. Telle était leur impatience, que j’eus quelque peine à les empêcher de pousser des hourras ! Cependant ils gardèrent le silence, et je leur donnai mes instructions en peu de mots. Le promontoire seul nous séparait du navire, et ma seule crainte était de tomber sous le vent, ce qui aurait donné le temps aux Français de se reconnaître. Il fallait donc diminuer de voiles ; je ne gardai que la misaine, mais en tenant toutes les voiles prêtes à être carguées au besoin. Mon plan était d’aborder le bâtiment par le bossoir de tribord, et de faire le moins de bruit possible.

Quand tout fut prêt, je me plaçai à l’arrière auprès du timonnier, et je lui dis de mettre la barre au vent. Neb se plaça derrière moi. Je savais que les observations seraient inutiles ; je le laissai faire. Le pilote m’avait dit que l’eau était profonde jusqu’à la base même des