Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guérie ; mais Émilie avait encore une foule de soins à me recommander, d’avis à me donner : on eût dit que la convalescence ne devait jamais finir.

Quant à la traversée, elle fut telle qu’on peut s’y attendre, avec les vents alisés de la mer Pacifique. Le bâtiment eut ses bonnettes dehors presque tout le temps, et nous faisions régulièrement de cent vingt à deux cents milles dans les vingt-quatre heures. Les lieutenants étaient chargés des quarts, et je n’avais guère autre chose à faire qu’à causer avec le major et sa fille dans le joli salon que Le Compte nous avait préparé ; à écouter le piano d’Émilie, qui avait été transféré de la prise, et ensuite sauvé du naufrage ; ou bien à faire une lecture à haute voix dans quelques-uns des deux ou trois cents volumes joliment reliés, qui composaient sa bibliothèque. On aimait encore à lire dans ce temps-là Pope, Young, Milton et Shakespeare ; quoiqu’on y joignît bien aussi, pour la petite pièce, mistress Radcliffe, miss Burney, et l’auteur du Moine, Lewis. Quant à Smollet et à Fielding, on les avait laissés à leur place, qui n’était pas la bibliothèque d’une jeune personne. Il y avait aussi des ouvrages plus sérieux, et je crois que je les avais dévorés tous, avant la fin de la traversée. La vie de mer à bord d’un bâtiment bien ordonné laisse beaucoup de moments de loisir ; et une collection de bons livres est une chose qu’on ne devrait jamais oublier quand on équipe un bâtiment, et qu’on cherche à réunir tout ce qui peut contribuer au bien-être de l’équipage.

Dans une pareille société, le temps ne pouvait paraître long à un jeune marin qui n’avait pas lieu d’être mécontent de son début dans la carrière. Je ne puis dire que je fusse amoureux, quoique l’image d’Émilie, quand elle n’était pas devant mes yeux, me poursuivît souvent jusque dans mes rêves. Je me surprenais aussi parfois à établir des comparaisons entre elle et Lucie, sans trop savoir pourquoi. La fille de M. Hardinge avait un fonds de connaissances solides, pratiques, qu’Émilie ne possédait pas, et elle avait un sens moral encore plus délicat ; mais sous le rapport des talents de convention, pour tout ce qui se rapportait au monde, à ses usages, à cette finesse de sentiments et de manière qu’il peut seul donner, celle-ci avait l’avantage. Avec plus d’expérience moi-même, j’aurais reconnu que l’une et l’autre n’étaient encore que des provinciales ; — car, en 1801, pour le ton et pour les manières, l’Angleterre n’était qu’une province plus grande seulement que les États-Unis, et les habitants des deux pays auraient été remarqués pour leur étrangeté dans les cercles plus raffinés du continent européen. Plus simple, Lucie eût été pré-