Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/291

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entre ma sœur et son amie. Si elle eût été à notre avantage, j’aurais sans doute trouvé la chose toute naturelle ; mais comme elle était contre nous, je m’en indignai dans le premier moment. Rupert dit à Grace que c’était à présent son tour, une dame succédant ordinairement à un monsieur. Ma sœur ne parut pas déconcertée le moins du monde ; mais, après un moment d’hésitation, elle dit :

— À M. Édouard Marston.

C’était un nom nouveau pour nous ; mais j’appris que c’était celui d’un jeune homme recommandable qui venait souvent chez mistress Bradfort, et dont cette dame faisait grand cas. Je regardai Rupert pour voir quelle mine il faisait ; mais il était aussi calme que Grace l’avait été quand il avait proposé la santé de miss Winthrop.

— Je crois qu’il ne me reste que vous à appeler, Miles, dit Grace en souriant.

— Moi ! mais vous savez tous que je ne connais pas une âme ici. Nos filles de l’Ulster sont presque toutes sorties de ma mémoire. Et puis, personne ne les connaîtrait.

— Comment donc ? est-ce que nous ne sommes pas aussi de l’Ulster ? Voyons, cherchez bien si vous ne trouvez pas quelque jeune personne…

— Allons, soit ! aussi bien on ne peut être resté plus de neuf mois sur le même bord qu’Émilie, sans penser à elle dans un cas extrême. Ainsi donc, à la santé de miss Émilie Merton !

M. Hardinge me parut pensif, comme un homme qui a des devoirs de tuteur à remplir, et Grace elle-même devint sérieuse. Je n’osai pas regarder Lucie, quoique j’eusse pu porter sa santé toute la nuit, si l’usage eût permis de proposer une personne présente. Les causeries recommencèrent de plus belle, et j’avais à répondre à six questions à la fois, quand mistress Bradfort, beaucoup trop minutieuse pour oublier personne, rappela que miss Lucie Hardinge ne nous avait pas encore honorés d’un toast. Lucie avait eu tout le temps de la réflexion ; elle inclina la tête, s’arrêta un moment comme pour rassembler son courage, puis elle dit :

— À M. André Drewett !

C’était le jeune homme avec qui elle était en conversation si animée, la première fois que je l’avais rencontrée ! Si j’avais été plus familier avec le monde, j’aurais su qu’une jeune personne sensée et délicate n’irait pas ainsi divulguer un secret qui lui serait cher. Mais j’étais jeune ; j’aurais porté devant tout l’univers la santé de celle que je préférais, et le toast de Lucie me mit mal à l’aise pour tout le reste de la soirée. Aussi ne fus-je point fâché quand Rupert me rap-