Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/294

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avait coutume de l’appeler, — car il avait commandé une fois une escadre, — était dans la marine militaire anglaise.

— Oh ! des marins de ce genre, à la bonne heure ! dit vivement Émilie ; je ne croyais pas qu’il fût d’usage d’appeler ainsi les gentlemen de la marine militaire.

— Ils feraient une triste figure, s’ils ne l’étaient pas, miss Merton ; autant vaudrait dire qu’un juge n’est pas un homme de loi.

C’en était assez toutefois pour me convaincre que miss Merton ne regardait plus le capitaine de la Crisis comme le premier homme du monde.

La cloche annonça l’arrivée des deux jeunes personnes, et Émilie leur fit un accueil gracieux. Elle mit de l’abandon et même une certaine chaleur dans l’expression de sa reconnaissance pour tout ce que j’avais fait pour elle et pour son père. Elle remonta même jusqu’à notre rencontre au parc, et poussa l’amabilité jusqu’à dire que dans cette circonstance, elle et ses parents avaient dû la vie à mon dévouement. De pareils propos faisaient grand plaisir aux deux amies ; car je crois qu’elles ne se seraient jamais lassées ni l’une ni l’autre d’entendre faire mon éloge. Après ces premiers compliments, la conversation tourna sur New-York, ses plaisirs et les différentes personnes qu’on connaissait mutuellement. Je m’aperçus que ma sœur et mon amie étaient presque ébahies de voir dans quelle société était lancée miss Merton. Cette société était d’une nuance au-dessus même de celle de mistress Bradfort, quoique l’une et l’autre eussent, par leurs extrêmes, quelques points de contact. Comme les personnes dont on parlait m’étaient toutes inconnues, je n’avais rien à dire, et j’écoutais en silence. C’était une excellente occasion pour moi de comparer entre elles les trois jeunes filles.

C’était par la délicatesse des formes que Grace et Lucie étaient surtout remarquables. Elles avaient la main et le pied plus petit, la taille plus svelte, la tournure plus élégante que la jeune Anglaise ; mais celle-ci avait des épaules et un buste irréprochables, et en même temps une fraîcheur de coloris que rien ne pouvait surpasser. Pour résumer en un mot le caractère de leurs physionomies, Émilie avait plus d’éclat, Lucie plus de finesse et d’expression. Je ne parle point de Grace, qui faisait classe à part par l’expression toute intellectuelle de sa figure. En les voyant toutes les trois assises en cercle et causant entre elles avec une douce et joyeuse liberté, Lucie me parut la plus jolie, dans sa toilette simple, mais soignée, du matin, tandis qu’il me semblait qu’Émilie aurait enlevé plus de suffrages dans un salon à la clarté des bougies. Je signale cette distinction parce que je la crois nationale.