Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/352

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course de douze à quinze cents milles, quand on est dans une bonne chaloupe, et qu’on a du biscuit et de l’eau à discrétion ? Une misère, et voilà tout. Seulement, il y avait les sauvages qu’il fallait éviter. Je courais tout le jour, et aussi une bonne partie de la nuit ; jusqu’à ce que le sommeil me gagnât ; et alors je mettais en panne sous ma grande voile à laquelle j’avais pris des ris, et je dormais comme un mylord. Je n’eus pas un mauvais moment à passer après être sorti du récif ; et une des heures les plus délicieuses de ma vie ce fut celle où le sommet des arbres de l’île disparut dans l’Océan.

— Et votre navigation dura-t-elle longtemps ?

— Sept semaines. Je passai bien devant une demi-douzaine d’îles, mais toutes de la nature de celle que je venais de quitter. Bien obligé ! on ne m’y reprendra plus. Je lançai au large ma bonne chaloupe, et nous nous promîmes bien de ne plus nous quitter.

— Enfin où êtes-vous débarqué ?

— Nulle part, pour le moment. Je rencontrai un bâtiment de Manille qui allait à Valparaiso. Le capitaine me prit à bord et m’y conduisit. N’y trouvant pas de bâtiment prêt à appareiller, je m’embarquai sur un navire du pays qui allait passer Les Andes pour venir de ce côté-ci, sur la côte de l’est. Ne vous rappelez-vous pas, Miles, ces monstres, de montagnes qui s’élèvent un peu dans l’intérieur des terres, et qui sont toutes couvertes de neige, tout le long de la côte occidentale de l’Amérique du Sud ?

— Assurément. Ce sont des objets trop frappants pour qu’on puisse les oublier, une fois qu’on les a vus.

— Eh bien, ce sont les Andes, et je vous réponds qu’il ne fait pas bon d’en approcher, mes enfants. Vous savez qu’un marin n’aime guère à marcher sur la terre la plus unie et sur la route la mieux frayée, parce qu’il y a toujours de ces hauts et de ces bas qui vous font lever le pied à chaque instant. Jugez donc de ce que c’était, quand je vous dirai que, si toutes les lames que nous avons vues s’élancer jusqu’au ciel pendant la dernière bourrasque, étaient empilées les unes sur les autres, ce ne serait qu’une brioche auprès de ces Andes. La nature a voulu se surpasser en les faisant, et je vous demande un peu à quoi elles servent ? Si au moins elles déparaient la France et l’Angleterre, encore passe ! mais vous laissez d’un côté les infernaux Espagnols ; et qu’est-ce que vous retrouvez de l’autre ? des Portugais et des Espagnols infernaux. Enfin nous les franchîmes néanmoins, et j’arrivai à un endroit qu’on appelle Buenos-Ayres d’où ton caboteur me conduisit à Rio. Là j’étais sur mon terrain ; j’y avais relâché tant de fois, en allant et en revenant !